
Rencontre avec Jin Hyuk, réalisateur de drama sud-coréen. Réalisateur émérite, reconnu et passionné, Jin Hyuk n’en finit plus de surprendre un public coréen et international. Réalisateur pour l’entreprise SBS, Seoul Broadcasting System, l’une des plus grandes chaînes de diffusion télévisuelle en Corée du Sud, Jin Hyuk prouve au fil des projets ses qualités de réalisateurs et sa grande créativité. Des relations inter-coréennes aux fantômes en passant par les incontournables représentations des disparités sociales, le réalisateur séoulite touche à tous les sujets et fait naître des grands noms de l’Hallyu tels que Lee Seung-Hi, Lee Min-Ho ou Lee Jong-Suk.
De passage à Séoul en octobre 2014, l’équipe de Corée Magazine a rencontré Jin Hyuk. Installés dans l’un des cafés du quartier de Gangnam, café spécialisé en 빙수 (Bing-Su, glace pilée accompagnée de haricots rouges), nous entamons notre découverte des dessous de l’industrie télévisuelle.
Corée Magazine (CM.). Pourquoi avoir choisi de réaliser des drama plutôt que des films ?
Jin Hyuk (JH.). En tout sincérité, j’ai choisi de réaliser des drama car cela est plus stable que l’industrie cinématographique. En Corée, le réalisateur de drama travaille directement pour une agence de production tandis que pour réaliser des films, il faut trouver soi-même le financement. Et nous ne sommes pas non plus sûrs d’être rentables. C’est également un peu plus difficile pour entrer dans l’univers du film industriel pour les personnes qui n’ont pas étudié ce domaine spécifique. Aussi, les drama sont grand public et il y a beaucoup d’attentes en Corée ; car les coréens regardent la télévision partout et tout le temps.
CM. Quelles études vous ont mené vers cette industrie ?
JH. J’ai fait des études aux Etats-Unis pour être réalisateur. Mais avant cela, j’avais fait des études en Business Administration car en Corée, les parents n’intègrent pas forcément les talents de leurs enfants. Il faut faire des études pour gagner de l’argent. J’ai donc fait ce que voulaient mes parents. Après mes études, j’ai travaillé chez Samsung, dans la division financière. Mais ça ne me plaisait pas car je voulais être réalisateur. Je suis donc parti aux Etats-Unis pour apprendre le métier et je suis revenu en Corée. J’ai alors passé le concours pour être réalisateur à la SBS (ndlr. Seoul Broadcasting System). C’est très difficile car il n’y a qu’un recrutement par an, et seulement deux personnes sont sélectionnées à la fin.
CM. Comment se passe le concours de la SBS ?
JH. Il y a tout d’abord un premier examen où l’on soumet un projet que l’on a réalisé soi-même. Puis, il y a un examen thématique. Un thème pris au hasard est donné, et le candidat doit inventer quelque chose à réaliser sur cette base. L’objectif est de montrer ses capacités créatives.
A l’issu de cette étape, 10 personnes sont sélectionnées et passent 4 jours dans une maison avec le jury. Le jury va alors évaluer le comportement des candidats et leur capacité à s’adapter en équipe. Restent alors 4 candidats finalistes qui vont passer un entretien final avec le directeur.
CM. Parmi vos réalisations, celle qui a réellement marqué vos débuts est « Shining Inheritance ». Contrairement à vos oeuvres récentes dont les codes sont plus cinématographiques, « Shining Inheritance » contient de nombreuses références au théâtre.
JH. C’est exact. Pour le drama « Shining Inheritance », nous n’avions pas beaucoup de budget. Afin de réduire le coût de réalisation, l’un des moyens est de réaliser le drama très rapidement. Pour accélérer la réalisation, j’ai donc proposé aux acteurs de travailler comme au théâtre, en faisant une répétition générale pour certaines scènes avant de filmer. Après le succès du drama, j’ai pu obtenir plus de budget ce qui m’a permis d’acquérir une caméra de cinéma, de bien meilleure qualité (rires).
CM. Vous avez depuis enchaîné de nombreux succès. Cela a-t-il eu un impact sur votre façon de travailler ?
JH. En fait, il existe des associations regroupant des équipes complètes qui, une fois le thème et les acteurs définis, contactent les entreprises de production, telle que la SBS. S’il est validé, la SBS va attribuer un réalisateur au projet. Mais je n’ai jamais vraiment aimé ce processus car j’aime avoir accès à plus de créativité. C’est pour cette raison que je préfère rencontrer des scénaristes et créer le sujet avec eux. Du coup, je dois moi-même présenter le projet auprès d’un comité de la SBS qui décide de produire ou pas le drama. Par exemple pour le drama « Shining Inheritance », j’ai beaucoup travaillé avec les scénaristes car le comité a refusé le projet deux fois. La troisième fois, la SBS a donné son accord mais avec un budget minimum. Les acteurs sélectionnés étaient donc peu connus car nouveaux dans le milieu. Finalement, le drama a eu beaucoup de succès, les acteurs sont devenus connus. Mon entreprise était donc très fière et j’ai depuis beaucoup plus d’opportunités pour travailler sur de nouveaux projets. Je travaille néanmoins toujours de la même façon. D’ailleurs, la SBS m’a dit une fois qu’ils avaient peur de moi car je fais toujours des drama différents.
CM. Effectivement. Entre « City Hunter », « Master’s Sun » et « Doctor Stranger », vous arrivez toujours à surprendre le public. Comment les choses se sont-elles passées pour « City Hunter » ?
JH. « City Hunter » est tiré du manga japonais de Tsukasaa Hojo. Pour ce projet, je n’avais donc que le concept. J’avais essayé de travailler avec des scénaristes mais le résultat ne me convenait pas. On me disait d’ailleurs que ce drama « d’action » ne pouvait pas réussir car les coréens préfèrent la romance à l’action. Puis j’ai rencontré l’acteur Lee Min-Ho. Il était très intéressé par le projet et m’a dit qu’il acceptait de participer alors même que je n’avais pas encore de scénario. C’était très difficile à ce moment-là d’avancer sur le projet mais Lee Min-Ho m’a beaucoup soutenu.
J’avais donc recruté de nouveaux scénaristes et nous avons travaillé sur le projet. Dans un premier temps, le comité de la SBS a refusé le projet car je n’avais pas de scénariste connu. Mais j’ai insisté et, ayant eu du succès précédemment avec « Shining Inheritance », le comité m’a donné ma chance et le résultat a été très positif.
CM. Un autre projet hors du commun sur lequel vous avez travaillé est « Master’s Sun ». Il est très rare de voir un drama dans le genre du film d’horreur. Comment ce sujet a-t-il été créé ?
JH. Cette fois-ci, j’ai travaillé avec des scénaristes connues : les sœurs Hong. C’était la première fois que je travaillais avec elles. Nous nous sommes rencontrés et nous avons discuté des différents thèmes. Les sœurs m’ont dit, que penses-tu du thème des fantômes ? Cela m’a plu et nous avons donc imaginé l’histoire. Le concept consistait à avoir un fantôme par épisode, plutôt dans le genre du sitcom.
CM. La représentation des fantômes est très intéressante et leurs histoires parfois surprenantes. Comment les avez-vous créé ?
JH. Pour les fantômes, nous avons choisi de créer un type de fantôme « normal » (ndlr. Habillé comme dans la vie de tous les jours) ; ce qui a beaucoup choqué car en Corée, les fantômes sont généralement représentés en costume traditionnel. Pour leurs histoires, nous avions par exemple décidé de parler d’un père transsexuel. Mais après 6 épisodes, l’audience a commencé à diminuer car le public préfère la romance aux fantômes. Nous avons donc revu le scénario à partir du 7ème épisode pour mettre plus l’accent sur l’histoire d’amour entre les personnages principaux.
CM. Nous souhaitons mettre l’accent sur un autre projet, qui a d’ailleurs fait beaucoup parler de lui, « Doctor Stranger ». Le drama parle d’un médecin nord-coréen qui réussi à se réfugier en Corée du Sud. Pourquoi avoir choisi un tel sujet ?
JH. Je m’intéressais au problème de la Corée du Sud et du Nord. Et je m’intéressais également au côté humain de ce sujet. Je voulais faire un drama qui associait le côté sociétal et humain. Malheureusement, nous n’avions pas beaucoup de temps pour préparer le projet et j’ai naturellement pensé à Lee Jong-Suk pour le rôle principal. Car il avait eu un rôle dans l’un de mes drama, « Prosecutor Princess », et cela avait été son tout premier drama. Donc je ne savais pas exactement pour quel projet, mais je savais que je voulais travailler avec lui à nouveau. Et le projet de Doctor Stranger s’est présenté.
CM. Est-ce que le fait de parler des relations intercoréennes n’était pas un peu délicat ?
JH. En Corée, la tendance est de ne pas trop parler du sujet. Mais je pense que c’est important d’en parler car cela touche l’identité coréenne. Comme c’est un sujet compliqué, j’ai souhaité en parler de façon plus légère. Le sujet du drama concerne tout le monde en Corée, il était donc important de faire un drama compréhensible de tous.
CM. Est-ce la raison pour laquelle vous avez choisi le thème de la médecine pour aborder ce sujet ?
JH. Oui, pour aborder le sujet plus légèrement car en Corée, quand il s’agit du sujet de la Corée du Nord, il y a deux types de personnes. Il y a les gens qui évitent le sujet et les gens qui prennent le sujet vraiment très au sérieux. Il faut trouver un équilibre. J’ai également choisi le thème de la médecine pour pouvoir parler d’une certaine forme de racisme en Corée du Sud. Quand une personne nord-coréenne arrive au sud, elle doit d’abord passer du temps dans un endroit spécialisé pour les aider à s’adapter à la société sud-coréenne. Mais après cela, la personne n’a pas forcément de licence ou de qualification reconnue pour pouvoir travailler. De ce fait, les nord-coréens ne peuvent souvent faire que des « petits boulots » en Corée du sud, comme par exemple livreur. C’est également pour cette raison que j’ai souhaité ajouter un talent spécial au personnage principal. Car les nord-coréens réfugiés au sud subissent souvent ce préjudice. Je voulais montrer au public que c’est un préjugé de croire qu’une personne nord-coréenne ne peut pas avoir un travail à haute qualification.
Il y a une histoire en Corée d’un docteur nord-coréen reconnu qui est venu en Corée du Sud mais qui n’a pas pu obtenir sa certification. Il a donc été obligé de reprendre ses études et de travailler comme interne dans un hôpital sud-coréen. Malheureusement, il est décédé à cause du stress, car la pression était trop forte ; il n’avait pas pu supporter de passer du statut de médecin reconnu en Corée du Nord à un simple interne en Corée du Sud. Je voulais parler de ça.
CM. Dans « Doctor Stranger », il y a aussi cette scène très marquante où l’on voit un médecin sud-coréen sauver la vie du dictateur nord-coréen Kim Il-Sung. C’est un message extrêmement fort. Quel a été la réaction du public ?
JH. Cette scène n’a pas aussi marquante pour le public. Il faut savoir que dans cet épisode, nous sommes en 1994. Les choses ont beaucoup changé depuis. Mis à part la scène où le médecin sud-coréen sauve le cœur du dictateur, le reste est très proche de la réalité. Il y avait à cette époque une situation d’urgence car Kim Il-Sung avait un problème de cœur et le risque de guerre était important. D’ailleurs, parmi les médecins qui s’occupaient du dictateur, des médecins français étaient présents. La situation étant diplomatiquement compliqué, il aurait été délicat en réalité d’avoir un médecin sud-coréen. J’ai néanmoins choisi de parler d’un médecin coréen pour appuyer la tension diplomatique. Certes, j’aborde dans ce drama une certaine critique de la politique de Corée du nord, mais je voulais avant tout montrer que cela n’a pas forcément de rapport avec la personne coréenne. Je voulais montrer surtout le côté humain, car les nord-coréens ne sont pas forcément en accord avec la politique de Corée du Nord et il ne faut pas l’oublier. (ndlr. A titre d’exemple, Jin Hyuk appuie bien ce fait en montrant le personnage principal contraint d’opérer des cœurs non malades, montrant une critique de la politique nord-coréenne et l’impuissance du peuple).
Néanmoins, le public coréen a surtout été touché par la mort du père du personnage principal, qui se sacrifie pour que son fils puisse vivre. Je m’attendais à ce que le public réagisse plus à la situation politique qu’à la mort de ce personnage. (rires)
CM. Vous avez tourné plusieurs scènes à Budapest, en Hongrie. Pourquoi avoir choisi cette ville ?
JH. J’aime beaucoup l’Europe. J’avais tenté auparavant de tourner en Croatie pour « City Hunter » mais ça n’a finalement pas pu se faire. Pour « Doctor Stranger », j’ai choisi Budapest car c’est une ville moins connue que Paris, où beaucoup de films sont déjà filmés. Mais j’aimerais un jour filmer dans la province française, que je trouve très belle.
CM. L’un de vos prochains projets devait parler de l’histoire de Yi Sun-Shin. Pouvez-vous nous en parler ?
JH. Initialement, je prévoyais de faire un drama qui parlait de l’amiral Yi Sun-Shin. Mais la scénariste avec laquelle je voulais travailler étant nouvelle, je n’ai pas pu faire valider le projet avec un budget nécessaire. Et ce type de projet demande du temps et un budget très important. Mais je garde ce projet en tête car c’est un sujet qui me tient à cœur et nous avons déjà un scénario. J’aimerais montrer une autre facette de l’Amiral Yi Sun-Shin car tous les coréens le voient simplement comme un héro. Quand on lit le journal qu’il a tenu, on découvre un personnage très humain, plein d’espoirs et de doutes. Je veux montrer cette autre facette.
CM. Quels seront alors vos autres projets pour 2015 ?
JH. Pour le moment, je tourne en Chine pour le drama chinois « FHM 2 » (autre nom : « Secret Society of Men – Friends ») avec Park Hae-Jin, Zhang Liang et Xue Zhigian. C’est une histoire ordinaire qui parle de deux camarades de l’Université qui ont commencé au même niveau mais qui, 10 ans plus tard, voient que leurs chemins sont totalement différents : L’un a réussi, l’autre n’a pas réussi.
Un grand merci à Jin Hyuk de nous avoir accordé du temps et d’avoir répondu à nos questions !
Le drama « Secret Society of Men – Friends » sera diffusé en Chine vers la fin de l’année 2015. Quant aux autres projets, nous pouvons dores et déjà être assurés d’être à nouveau agréablement surpris par les thèmes qui seront abordés.
Photo à la Une et photo portrait : © Corée Magazine
Photo Jin Hyuk et Lee Min-Ho : © Jin Hyuk
Autres photos : © SBS
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