
Après un concert réussi au Divan du Monde le 5 décembre, La Corée à Paris à eu la joie de rencontrer Kang San-eh, musicien incontournable du rock coréen.
De la volonté et du talent, mais aussi de la curiosité et de l’ouverture d’esprit. Voici ce qui ressort de notre entrevue avec Kang San-eh qui, nous le souhaitons, reviendra déchaîner les foules en Europe très prochainement.
Le concert à Paris mercredi était votre premier en Europe. Comment s’est dessiné ce projet, et pourquoi après seulement 20 ans de carrière musicale ?
C’est grâce à mon ami Won Kim que ce concert a eu lieu. Il a eu l’idée d’organiser l’évènement au Divan du Monde au travers de sa compagnie « Pas de Dieux ». Il s’est ensuite associé à Iseo Youn, présidente de « Liquid Map Art Project » pour tout préparer. L’idée de donner un concert à Paris m’a tout de suite beaucoup plu. Au départ, je n’étais pas sûr que cela soit possible car le rock coréen ne s’exporte encore pas vraiment. Relever ce défi avec l’équipe franco-coréenne organisatrice a été une belle expérience !
Etait-ce votre première visite à Paris ? Pourquoi avoir choisi cette ville ?
C’est ma deuxième visite à Paris, je suis venu une première fois en 2011 rendre visite à mon ami et c’est parce qu’il vit à Paris que mon premier concert européen a eu ici.
Comment avez-vous trouvé le public parisien ? Car il y a une grande communauté de coréen mais aussi d’amoureux de la culture coréenne en France.
J’ai trouvé le public parisien très ouvert. Dans la salle, il y avait beaucoup de personnes qui connaissaient déjà ma musique et ceux qui la découvraient ont montré un intérêt sincère. Avant de monter sur scène je me sentais inquiet. Je me demandais comment allait m’accueillir le public français et j’ai tout de suite ressenti l’envie du public. Cela m’a mis très à l’aise sur scène. Le public m’a transmis une belle énergie tout au long du concert.
Avez-vous dû aménager votre musique afin de l’adapter au public occidental ?
Je n’ai modifié aucun de mes arrangements pour le public occidental. Par contre, j’ai beaucoup réfléchi au choix des titres que j’allais jouer. C’est un gros travail de choisir parmi 8 albums. Je me demandais « qu’est-ce qui va bien s’accorder avec le public français ? » « Comment faire découvrir ma musique à un public qui ne me connait pas ? ». Je me suis posé beaucoup de questions. J’ai fait une sorte de « best of », pour mes fans coréens et pour ce nouveau public français. Et puis j’ai décidé d’interpréter une de mes chansons en français, « Ce matin-là », pour rendre hommage au public qui venait me découvrir.
Vous intégrez parfois des instruments traditionnels de la culture coréenne. Quel est selon vous le bon équilibre musical entre l’occident et l’Asie ?
Pour moi, ce ne sont pas les instruments qui sont importants. Jouer avec des instruments traditionnels ne veut pas dire que je vais interpréter de la musique coréenne. La première chose importante, c’est de jouer d’un instrument en le respectant, en en prenant soin. Je ne pense pas à un équilibre, j’exprime ma propre création musicale et avec les instruments coréens, je peux créer et interpréter les différents styles de musique occidentale.
La musique traditionnelle coréenne est de plus en plus reconnue car elle fait partie du patrimoine culturel coréen. D’un autre côté, la k-pop est la musique la plus connue car c’est elle qui exporte la « reconnaissance » de la Corée du Sud. Pourtant, on connait très peu les grands succès du rock coréen. Qu’en pensez-vous ?
C’est naturel que la musique traditionnelle et la Kpop s’exportent les premiers. C’est une grande question que de savoir si le rock coréen peut percer en France. Pour se faire connaitre, la musique traditionnelle coréenne a sa force culturelle, sa singularité culturelle, surtout dans un pays comme la France où la culture est importante. Elle bénéficie d’un système de subventions. La Kpop s’impose car c’est d’abord une histoire de business, la priorité commerciale est la plus importante. Même en Corée, la scène rock est petite, les productions de Kpop dominent le marché de la musique. Les groupes indépendants doivent se produire eux-mêmes avec leur propre vision artistique et leurs propres moyens, souvent très réduits. C’est très difficile pour eux.
Comment considérez-vous l’évolution de l’industrie musicale en Corée du Sud ? Est-elle fatalement liée aux changements de la société coréenne, actuellement en pleine expansion à l’international ?
La musique coréenne évolue de plus en plus vers la Kpop et ce n’est pas très positif. Culturellement, la musique coréenne est très diverse. Dans cette diversité, il y a plein de mélange et d’expérimentation, cela représente pour moi une culture vivante. Aujourd’hui, la Kpop représente 80 ou 90% du marché, il reste peu de place pour les autres styles, que ce soit la musique classique ou indépendante. Il y a une standardisation de la musique pour favoriser l’exportation mondiale. La production Kpop est contrôlée par un petit groupe de producteurs qui ont le talent de surveiller la tendance et de s’approprier la tendance mondiale. Les chanteurs de Kpop sont entraînés et transformés en une sorte de produit commercial. Aujourd’hui, la Corée est riche et compétitive mondialement mais elle n’accorde pas encore assez de place à la culture, ce n’est souvent qu’un investissement économique et cela ne représente pas l’âme du peuple coréen.
Nous sommes très fier de vous avoir accueilli pour célébrer ensemble vos 20 années de carrière. Avec un peu de recul, quelle a été votre plus grande fierté ?
En regardant mes 20 ans de carrière, je pense à mon premier album. Mon nom, Kang San-eh, est atypique pour un chanteur tout comme les titres de mes chansons. Les radios hésitaient à me diffuser. Par exemple, l’expression « Ra Gu Yo » en coréen, s’utilise en fin de phrase. Pour un titre, ça n’a pas de sens. « Heylolala » n’existe pas dans le dictionnaire, c’est un mot que j’ai inventé et cela posait problème aux gens de radios qui ne trouvaient pas de sens commun ou profond à ces mots. Les thèmes de mes chansons n’étaient pas non plus habituels. Les producteurs m’ont alors prié de changer les titres. Je leur ai demandé de me faire des propositions de modifications mais leurs choix étaient pour moi tellement kitsch et pas représentatifs de mon âme que j’ai refusé. Avec difficulté, les producteurs ont finalement accepté que je conserve ma propre écriture poétique et c’est ce qui a fait mon succès et qui a créé cette image unique que j’ai depuis 20 ans sur la scène musicale coréenne. Dès le départ, j’ai défendu ma musique, je suis resté obstiné et je suis très fier de cela.
Quelles ont été vos inspirations musicales ? Avec quelles musiques avez-vous grandi ?
Jeune, j’écoutais beaucoup de musique folk coréenne avant de découvrir le blues au Japon. Après le blues, le rock s’est imposé avec les Rolling Stones, U2 . Plus tard, j’ai découvert Bob Marley. J’apprécie aussi beaucoup les productions de la Motown, Ray Charles et James Brown dont j’ai pu assister au dernier concert.
Il paraît que vous avez étudié la médecine orientale. Que s’est-il passé ?
J’ai étudié 4 mois à l’école de médecine orientale puis je suis parti pour plusieurs raisons. D’abord les cours étaient très chers et ma famille avait des revenus modérés. Les petits boulots d’étudiants étaient impossibles car l’emploi du temps à l’école était très chargé. Enfin, quand j’ai quitté Busan pour Séoul et sa grande université, j’ai subi un choc culturel. Jusque-là, je menais une vie simple entre la maison, l’école et l’église. A Séoul, dans les années 80, il y avait des manifestations presque tous les jours. L’ambiance de rébellion était partout. Cette situation me déstabilisait car je venais de la province, j’étais naïf, je ne comprenais pas cet esprit de révolte. J’ai quitté l’école et j’ai commencé à travailler dans un café d’artiste. Il y avait là une petite scène avec une guitare à disposition. C’était la première fois que je rencontrais l’univers des artistes et que j’ai pu vivre ma première expérience à la guitare et comme chanteur.
Crédits photo : © Corée Magazine
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