
Après la première projection de Focus Corée dédiée à l’espoir, la deuxième session de films organisé par ICTV Solférino, que nous vous présentions en avance ici, a été diffusée le 16 avril sur la péniche Anako. Elle se concentrait sur des personnages bouillonnants de rage.
La projection s’ouvre avec un court-métrage d’animation, « Hope Bus ». Il traite du combat d’une grutière qui proteste pendant plus de 150 jours en haut d’une grue du complexe de construction Hanjin, suite au suicide quelques années plus tôt de plusieurs ouvriers du chantier. Celui-ci n’est jamais nommé à part entière, mais le film renvoie à l’histoire vraie de Kim Jin-suk, membre de la Confédération des Syndicats de Travailleurs, confédération de Busan. Ce combat a attiré de nombreux curieux, qui viennent lui apporter des vivres après une altercation d’envergure avec les forces de l’ordre, qui usent de la violence pour mater les manifestants : battus, aspergés, parqués dans des fourgons de police avant d’être raccompagnés loin du chantier, les insurgés reprennent goût au combat très vite et retrouvent la grutière toujours bloquée en haut de l’engin. Les médias sont quant à eux pointés du doigt, leur proximité avec le pouvoir en place déformant la réalité. Ils dénoncent ainsi des militants « violents » qui s’en prennent à la police. Or, la manifestation présentée à l’écran semble plutôt calme : les manifestants allument des lanternes qui décollent avant que la grue se transforme en robot géant et détruise son environnement, symbolisant la victoire finale de Kim Jin-suk. La réalisation toute en Lego fait sourire par moments et laisse un arrière-goût de légèreté à un film qui est bourré de revendications sociales fortes et chères à un pays avec une tradition de luttes syndicales loin de l’image du « Pays au matin calme ». On repensera notamment aux manifestations sanglantes des années 80, et plus précisément au soulèvement de Gwangju, qui symbolise l’engagement populaire coréen face à un Etat totalitaire.
S’ensuit le documentaire « Parcours d’un révolté » mettant en scène Han Dong-man, Nord Coréen et travailleur volontaire dans le camp de déforestation de Tynda, en Sibérie. Jeune, Han Dong-man souhaite s’engager dans le parti, jusqu’à ce qu’il apprenne qu’il doit débourser $300 pour l’intégrer. Il fait le choix d’allouer cet argent à sa famille, et se retrouve arrêté puis poussé à travailler en Sibérie pour couvrir les besoins des siens. Travailleur forcené et exemplaire, Han Dong-man gagne le droit de rentrer en Corée du Nord. Il découvre alors avec colère que l’argent qui lui a été versé n’était que des coupons valides uniquement dans les magasins de bûcheron. Sa famille n’a donc rien pu en faire pendant son absence.
Han Dong-man prend la décision d’arrêter de travailler – de « prendre un congé », selon ses dires – jusqu’à ce qu’on l’incite à repartir. La Corée du Nord a en effet passé un accord avec la Russie pour éponger ses dettes en offrant des travailleurs attirés par l’appât du gain facile en Sibérie que présente l’Etat. La réalité est toute autre, et Han Dong-man l’apprend à ses dépends.
Or, au bout du premier mois après son retour en Sibérie, il commence à s’apercevoir d’irrégularités de paiement. Han Dong-man ment alors et devient chauffeur, bien qu’il n’en ait jamais été un en Corée du Nord, ce qui lui évite la dangereuse tâche de bûcheron. Il lui faudra encore quelque temps avant de se décider à s’enfuir. Pendant cette période, il travaille jusqu’à 15 heures par jour et vend des ramyeon la nuit pour gagner un peu d’argent et rembourser ses dettes auprès de ses supérieurs, qui repoussent sans arrêt le paiement des salaires. En prétextant une panne de moteur nécessitant un démontage complet de celui-ci, Han Dong-man prend ses jambes à son cou et finit par arriver à Moscou. Il y vit pendant 10 ans, caché aux yeux du monde, dans un refuge qu’il partage avec d’autres Coréens du Nord. Pendant ses années passées en Russie, il parvient à obtenir le statut de réfugié. A plusieurs reprises, il a dû verser des pots de vin aux autorités russes pour éviter d’être renvoyé en Corée du Nord, où la défection est punie par un emprisonnement du déserteur, et parfois de sa famille.
L’équipe de tournage lui demande de retourner dans le camp de Tynda pour qu’il fasse son récit de l’intérieur. Ils s’engagent dans un voyage de 72h en train à travers la steppe, suivi par 6h de voiture avant d’atteindre Tynda. Afin de pouvoir découvrir les coulisses du camp, l’équipe se fait passer pour des revendeurs de matériel photographiques. Han Dong-man est épargné de visite du camp, et est remplacé par un Russe. On découvre alors que l’extérieur du camp regorge de forts messages de propagande : arches, colonnes, tout est bon pour rappeler la grandeur de Kim Il-sung.
L’équipe retourne ensuite à Moscou, où Han Dong-man organise le passage de sa femme, Hyun-suk, en Chine. Celle-ci refuse néanmoins, ne souhaitant pas abandonner ses enfants. Du temps passe sous les ponts avant de retrouver Han Dong-man, qui attend son passeport pour les Etats-Unis. Il l’obtient mais y passe peu de temps avant de se retrouver en Corée du Sud, un pays qu’il ne souhaitait pas rejoindre pour éviter le regard des « siens », attestant si besoin est que le sentiment d’appartenance à une famille unique est toujours prégnant des deux côtés de la péninsule. Pourtant, il y a fort à parier qu’il ne restera pas indéfiniment en Corée du Sud, où la vie est difficile pour les Coréens du Nord, comme nous l’expliquions dans notre précédent billet sur Focus Corée.
Après la projection, Thomas Ollivier, journaliste et correspondant en Corée du Sud pour RFI de 2005 à 2010, a répondu aux nombreuses questions d’un public toujours aussi ému par les témoignages mis en avant dans les documentaires de « Focus Corée ».
La prochaine projection aura lieu le 14 mai, toujours sur la péniche Anako, et traitera du parcours administratif angoissant de 9 Coréens du Nord qui ont fui par la Chine et parviennent aux frontières de la Corée du Sud.
Pour information : Le DVD du documentaire « Contre marées et barbelés » est disponible à l’achat sur le site d’ICTV.
Crédits photos du documentaire : © ICTV-Solferino
Crédits photos de la projection : © Corée Magazine
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