
Sur la péniche Anako avait lieu la première projection d’ICTV Solferino sur les transfuges nord-coréens. Retour sur des documentaires époustouflants de justesse.
Nous avons affronté la neige le 12 mars 2013 pour nous rendre à la péniche Anako et assister à la projection de documentaires sur les transfuges nord-coréens organisée par ICTV Solférino. La petite péniche avait été aménagée pour accueillir un cercle d’initiés. La séance était consacrée à deux films : un court-métrage d’animation en première partie puis un documentaire produit par le studio, le tout suivi par un débat avec Marie-Orange Rivé-Lasan, Maître de Conférences de la section Corée à l’université Paris 7, qui a expliqué plus en détail les difficultés rencontrées par les transfuges.
Ouverture avec « A Purple Man », un film court tout en pâte à modeler. Etonnant mélange pour un film dédié à la dure vie d’un rescapé du camp de redressement n°12 grâce à son jeune âge lors de l’enfermement. Passé au Sud par la frontière mongole, il découvre à ses dépens les travers de la société de consommation. Sa première mission consiste à trouver un travail en tant qu’ouvrier dans une usine insignifiante. Il y rencontre un coréen du Sud qui n’a pas été très attentif à l’école, ce qui lui fait repenser à son propre apprentissage : portrait de Kim Il-sung au mur, maîtresse enseignant en hanbok… tandis que son homologue au Sud apprend à diaboliser le régime du Nord de la péninsule. Plus tard, qu’elle n’est pas sa surprise lors d’une discussion anodine dans le bus où il apprend qu’un Coréen du Sud gagne deux fois son salaire pour un travail similaire !
A cela, il faut ajouter la difficulté à s’adapter à une société aux antipodes de celle du Nord, un point que le film touche du bout des doigts, préférant se concentrer sur la réalité économique des salariés Nord-Coréens.
Après cette vision très économique de la vie des ouvriers, « Contre marées et barbelés » est une bouffée d’espoir pour les transfuges. Le documentaire, qui raconte le parcours d’une famille de réfugiés, émeut le public par le courage de ses protagonistes : à la fois pleins d’espoir, profondément religieux et résignés à affronter les pires obstacles pour être réunis, cette famille a choisi la méthode la plus difficile pour passer au Sud. Tout d’abord, le mari, Yoon Song-ook, raconte qu’après son départ de Corée du Nord, il a longtemps travaillé en Chine. Sa femme, quant à elle, a fait le voyage avec sa mère, qui a été enlevée en Chine pour être vendue comme esclave sexuelle, ce qu’elle subit pendant quatre ans. Pourtant, lors de son entretien avec le documentariste, elle se réjouit uniquement d’avoir pu retrouver les siens. Pas un mot n’est énoncé à propos de sa situation en Chine, qu’elle semble avoir laissé derrière elle.
En effet, la famille a du pain sur la planche, car elle souhaite faire traverser trois autres personnes : le frère, la tante et la cousine de la femme de Yoon Song-ook. La frontière chinoise est bien gardée ; il faut donc agir vite et au beau milieu de la nuit si l’on veut pouvoir s’échapper. Les trois survivants y parviennent, mais alors commence une nouvelle série de péripéties extrêmement risquées : la route par la Chine puis la jungle birmane, lao et thaïlandaise est un chemin long et périlleux, aussi Yoon Song-ook a-t-il opté pour la traversée par la mer. Cela impose des marées clémentes, chose difficile en pleine nuit. Néanmoins, Yoon et les siens sont prêts à relever le défi pour être réunis. De l’autre côté de la péninsule, un deuxième bateau est affrété par le pasteur qui a accueilli Yoon et sa femme au Sud. La marée houleuse retarde le départ du bateau du pasteur, qui se retrouve au point de rendez-vous sept heures après l’heure convenue. Pendant ce temps, le bateau de Yoon a pris l’eau. Ils se rejoignent tout de même et font passer toute la famille sur le petit bateau du pasteur. Arrivés à Gunsan, Yoon est informé par les garde-côtes qu’il doit repartir en Chine avec son bateau, où il est immatriculé. Le pasteur prend les choses en main et Yoon finit par pouvoir reposer le pied en Corée du Sud.
S’ensuit une nouvelle période de séparation lors de laquelle les réfugiés sont accueillis dans un centre de réhabilitation à la vie en Corée du Sud, le centre Hanawon. Cette éducation se fait en deux temps : tout d’abord une période d’interrogatoire de trois mois par les services des renseignements, puis trois mois d’apprentissage des rudiments de la vie au Sud. Malgré tous ces obstacles, la famille de Yoon Song-ook est tellement heureuse d’être enfin réunie que ces délais supplémentaires ne les effraient pas, et ils se réjouissent une fois encore d’avoir réussi à passer au Sud tous ensembles.
Ces deux films offrent une incursion rare dans la vie des transfuges au spectateur occidental, qui mesure difficilement l’ampleur des défis rencontrés par les Nord-coréens. On félicitera les réalisateurs, mais aussi les acteurs, qui risquent l’envoi dans les camps de redressement pour l’ensemble de leur famille si le film tombe dans les mains du régime du Nord. On saluera donc leur courage, à la fois pour s’échapper d’un pays où la vie est chaque jour plus difficile, puis pour faire éclater la vérité au grand jour à travers leur portrait personnel.
La projection était suivie d’un débat avec Marie-Orange Rivé-Lasan, Maître de Conférences de la section Corée à l’université Paris 7, dont l’intervention a été « extrêmement claire et passionnante ». Preuve que la Corée et son histoire reste encore bien mystérieuse pour l’occident, les questions des spectateurs se sont naturellement tournées vers la compréhension du système nord-coréen et de son opposition avec le sud, plus d’actualité que jamais.
Preuve également d’un public conquis par ces documentaires, les spectateurs ont donnés des retours très positifs sur cette soirée « très riche » et sur une projection « très poignante », trouvant « incroyable d’avoir réussi à filmer » ces moments dangereux.
Deux nouvelles projections seront organisées. Le 16 avril, ICTV Solférino remet le couvert, et La Corée à Paris sera partenaire. Toutes les informations bientôt en ligne sur notre site !
Pour information : Le DVD du documentaire « Contre marées et barbelés » est disponible à l’achat sur le site d’ICTV
Article rédigé par Ségolène.
Crédits photos du documentaire : ICTV-Solferino
Crédits photos de la projection : Coree-Paris.Com
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