
Lorsque l’on parle de grands groupes coréens ou chaebol (재벌), le premier nom qui vient en tête est l’empire Samsung, suivi par LG et Hyundai. Pourtant, si l’on connaît bien l’offre électronique grand public du premier et les téléviseurs du second, ils représentent bien plus en Corée. De l’assurance vie au dentifrice en passant par l’habillement et la banque, il est tout à fait plausible en Corée de vivre au rythme des innovations d’une marque unique.
Quatre groupes pour un pays
Samsung, l’emblème du miracle coréen
Si, en Occident, Samsung est perçu comme un fabricant de téléphones portables particulièrement compétitif, on est très loin de l’aura du groupe en Corée. Le groupe bénéficie de sa propre ville à Séoul (Samsung Town), représente 17% du PIB en 2013 et employait 427 000 personnes à travers le monde en 2013. Samsung est le plus ancien chaebol, bien qu’il ait initialement été uniquement une entreprise d’échanges de produits de la vie courante. Dès les années 1940, le groupe commence à développer de nouvelles activités telles que l’alimentaire, l’habillement, l’assurance et les produits de grande consommation. Loin d’offrir dès lors des produits électroniques, le groupe ne se lance dans ce marché qu’à la fin des années 1960, lors du xx° plan quinquennal dicté par le gouvernement de Park Chung-hee. Dès les années 1970, Samsung devient omniprésent avec des antennes couvrant la majorité des segments de marché existant, tels que le divertissement avec le parc d’attractions Samsung Everland, l’assurance via Samsung Life Insurance ou encore la publicité avec l’agence Cheil Worldwide, déclarée en 2012 15° plus grande agence au monde en termes de revenus selon BusinessWeek.
LG, du plastique aux écrans plasma
LG, au même titre que Samsung, n’a pas toujours été un leader de l’électronique grand public. Le groupe débute dans le plastique sous le nom Lak-Hui, avant de faire l’acquisition de Goldstar et devenir un groupe mondialement reconnu sous les initiales LG. La première incursion du chaebol dans l’électronique date de la création de la toute première radio coréenne. En parallèle, LG se lance dans les produits d’hygiène tels que savon, dentifrice et gel douche, qui sont encore distribués sur le marché domestique. En parallèle de ces activités, LG possède notamment le club de baseball LG Twinset sponsorise un certain nombre de clubs et événements sportifs, parmi lesquels la gymnaste Son Yeo-jae (5° mondiale), le Grand Prix de Formule 1 de Corée ou encore le FC Fulham (Royaume-Uni).
Hyundai, précurseur de l’industrie lourde
Le groupe apparaît dès 1947, et son fondateur, Chung Ju-yung fait figure d’avant-gardiste. Il appelle sa société de construction, l’activité première de ce qui deviendra un des plus grands conglomérats du pays, « hyundai » (현대), qui signifie modernité. L’entreprise apparaît bien avant que la Corée devienne une puissance économique grâce à la qualité des constructions navales de Posco, et devient vite une référence en Asie du Sud-Est. Hyundai Motors, l’entité qui vaudra au groupe une reconnaissance non négligeable en Occident, ne voit le jour qu’en 1967. La croissance du conglomérat continue de grimper jusqu’à la crise de 1997, qui le verra disparaître à petit feu jusqu’à ce que seul Hyundai Motors tienne debout. Les autres antennes, qui s’étendent de la construction à l’assurance, laissent la place à des antennes de groupes similaires tels que Samsung, LG ou SK, l’opérateur téléphonique principal de la péninsule et seul chaebol à ne pas bénéficier d’un rayonnement global.
SK, premier opérateur du pays inconnu à l’international

SK Group est la troisième puissance économique du pays en terme de filiales, précédé uniquement par Samsung et LG, et a été placé en 57ème place du classement Fortune Global 500. Pourtant, le groupe souffre d’une image de marque quasi inexistante en Occident. Au même titre que les autres conglomérats, SK Group dispose d’une activité extrêmement diversifiée, englobant la pharmaceutique, l’énergie mais aussi les télécoms. C’est d’ailleurs à ce titre que le groupe jouit d’une position dominante. En tant qu’opérateur de téléphonie mobile, SK Group ressemble à s’y méprendre à l’Orange français : le groupe fournit à la fois le réseau sur lequel circulent les communications téléphoniques sur mobile et fixe, le haut débit Internet mais aussi le WiBro, le Wifi-Broadband spécifiquement coréen. Ce système permet aux habitants de la péninsule de recevoir la télévision en haut débit à tout instant, et participe à l’image du « pays le plus connecté au monde » du pays au matin calme.
Controverses
Un rapport étroit entre pouvoir politique et économique
La puissance de ces chaebol est une conséquence directe du marasme économique dans lequel la Corée du Sud s’est trouvée à la fin de la Guerre de Corée (1950-1953). Dès la fin des années 1950, l’administration de Park Chung-hee édite un plan économique mettant l’accent sur l’exportation et le marché domestique, et transforme de façon définitive le commerce coréen. Le pays entre dans l’économie de marché, alors totalement inconnue, grâce à des prêts effectués par le gouvernement auprès des groupes cités précédemment, entre autres. En parallèle de cet avantage considérable, les chaebol se voient octroyer un statut légal différent de l’ensemble de l’industrie, ce qui leur permet d’écraser la concurrence, qu’elle soit locale ou internationale.
La croissance des chaebol a rarement stagné, et les conglomérats ont peu subi la crise asiatique de 1997. Cela est en partie dû au rapport étroit que les groupes entretiennent avec le pouvoir politique. Si Park Chung-hee leur a permis de prospérer, les présidents suivants ont conforté les groupes dans leur position de pouvoir : suite au mariage de la fille de Roh Tae-woo (1988-1993) à l’héritier de SK Group, le chaebol a perçu des bénéfices lui permettant de devenir le leader incontesté des télécoms dans le pays. Lee Myung-bak, quant à lui, était le Président Directeur Général (PDG) de Hyundai Engineering and Construction avant d’être élu Président.
Il est indéniable que les liens unissant le pouvoir économique et politique du pays créent des tensions notables auprès de la population, ne serait-ce que par la capacité des PDG des conglomérats à se jouer des lois applicables à l’ensemble de la population. Lee Kun-hee, PDG de Samsung Electronics et Chung Mong-koo, PDG de Hyundai Automotive, ont ainsi tous deux été jugés pour détournement de fonds avant d’être relâchés quelques mois plus tard, servant une peine de prison courte témoignant de leur manquement au droit coréen. Néanmoins, ces peines fantoches ont été largement perçues par le public comme une mascarade révélant des relations très fortes entre les deux pouvoirs. L’image du gouvernement en a été entachée, ce qui a incité l’administration à durcir les peines. Ainsi, Choe Tae-won, PDG de SK Telecom, a été condamné en 2013 à 4 ans de prison pour détournement de fonds.
Une structure dynastique doublée de mariages arrangés
Une caractéristique présente dans tous les chaebol a trait à leur direction. Aucun de ces groupes n’a changé de mains depuis leur conception. Cette structure dynastique a plusieurs fois été remise en question par le pouvoir en place sans que ces revendications n’aboutissent jamais. Les mariages arrangés sont encore chose courante et sont souvent dénoncés comme une volonté systématique de centraliser le pouvoir au sein d’un même clan. Si de nombreux dramas peignent un tableau édulcoré de la liberté des héritiers de chaebol, parmi lesquels Boys over Flowers (꽃보다 남자), Flower Boy Ramyun Shop (꽃미남 라면가게), ou encore the Heirs (상속자들), la réalité des héritiers de chaebol est toute autre. Les unions sont souvent scellées bien avant l’adolescence des intéressés, et ont vocation à bénéficier au groupe. Cela rappelle de façon surprenante la conception médiévale du mariage-alliance permettant de gagner plus de pouvoir, des richesses ou encore d’étendre son territoire d’influence.
Le durcissement des règles attenantes aux chaebol, ainsi qu’une opinion publique de plus en plus vocale dans son rejet du modèle oligarchique des conglomérats risque de provoquer des remous dans un futur très proche. Il est néanmoins difficile de prédire l’éclatement des groupes, ou une influence moindre sur la politique de la péninsule.
Note : nous avons volontairement limité ce reportage aux quatre groupes les plus influents dans l’histoire des conglomérats coréens et les plus reconnus en occident. Il existe de nombreux chaebols dotés d’une influence locale ou pan-asiatique tels que Lotte, Doosan ou encore Hanjin qui méritent une étude complémentaire soulevant des controverses similaires.
Crédits photos :
Image à la Une : http://www.mtholyoke.edu/
Logo SK Group : Wikipedia
Intermariages : Han Shin-kap, « Social Cohesion through Intermarriage among Chaebol Families in Korea » (extrait), http://www.citation.allacademic.com
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