
Rencontre avec RHEE Soue-won, programmatrice au Festival International du Film de Busan, qui nous parle du programme spécial My French Cinema qui a lieu cette année en octobre 2015 lors de la 20ème édition du BIFF.
Interview réalisée par Nath Pampin pour Corée Magazine.
Depuis maintenant 20 ans, le Festival International du Film de Busan (BIFF) présente le meilleur de la cinématographie asiatique et internationale. Entre cortège d’acteurs stars et réalisateurs de grande renommée, le Festival a présenté pour sa 20ème édition quelques 304 films dans différentes sections et a notamment fait la part belle au cinéma français avec plus de 20 films présentés dans la sélection officielle et un programme spécial intitulé My French Cinema pour célébrer le début de l’année France-Corée 2015-2016. Au total, dix films choisis par des professionnels du cinéma français et coréens ont été présentés au public au cours de ce programme. L’occasion de découvrir ou redécouvrir de grands films français avec les commentaires de spécialistes du cinéma.
Pour nous en parler, Corée Magazine a eu le plaisir de retrouver Rhee Soue-won, programmatrice en charge des films français au BIFF, qui dans un français impeccable a eu l’amabilité de répondre, en pleine effervescence du festival, à nos questions sur ce programme spécial intitulé My French Cinema.
Nous avions déjà eu l’occasion d’interviewer Rhee Soue-won il y a quelques années pour qu’elle nous fasse une présentation générale du Festival.
>> Lire l’article : Interview de Rhee Soue-won
Corée Magazine (CM.). Pour débuter l’interview, pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours et surtout nous présenter votre fonction et votre rôle au sein du Festival International du Film de Busan (BIFF)?
RHEE Soue-won (SW.). Je suis membre du Comité de sélection du BIFF depuis dix ans maintenant et je m’occupe plus particulièrement de la sélection des films européens (excepté l’Europe de l’Est) et des films d’Afrique. Donc je m’occupe depuis quelques années maintenant du choix des films français pour le festival et au cours de cette édition, le BIFF présente un programme spécial intitulé My French Cinema qui rentre dans le cadre des échanges de l’Année France-Corée 2015-2016, en avant-première même des événements qui seront consacrés à la France en Corée. Officiellement, comme vous le savez peut-être, ces événements débuteront en Corée en mars 2016 alors qu’ils ont déjà débuté en France, et ce depuis le mois de septembre. Le festival a donc exceptionnellement accepté la présentation de ce programme spécial My French Cinema avant même le début des événements de la France en Corée en raison de la venue à Busan de la Ministre de la Culture et de la Communication française Fleur Pellerin.
CM. Pouvez-vous nous parler un peu plus de la genèse de ce programme My French Cinema ? Comment s’est fait le choix des films pour ce focus sur le cinéma français ? Y a-t-il d’autres organismes, aux côtés du BIFF, qui ont collaboré à la mise en place de ce programme ? Nous pensons notamment à Unifrance,…
SW. Le principe et l’idée de départ, dans le cadre de cette Année France-Corée, était évidemment l’échange entre la France et la Corée. Nous avons donc un programme de films d’une part et l’élaboration d’un livre d’autre part.
Pour le programme de films, nous avons demandé aux professionnels du cinéma français de nous recommander un film français de leur choix. Par exemple, parmi les professionnels que nous avons contacté, le réalisateur Léos Carax a recommandé un film de Jacques Demy “Une chambre en ville” et deux de lui, “Mauvais Sang” et “Holy Motors”. Il a notamment insisté sur le choix de “Holy Motors” car lorsque le film avait été sélectionné au BIFF en 2012, Léos Carax n’avait pas pu être présent pour la présentation de son film à Busan. Le réalisateur Claude Lelouch, quant à lui, a choisi “Un homme et une femme”, Charles Tesson, critique, historien du cinéma mais aussi délégué général de la Semaine de la critique à Cannes a recommandé un film d’Olivier Assayas, “L’heure d’été” et ainsi de suite. D’autres professionnels du cinéma ont recommandé des films, comme l’acteur Jean-Pierre Léaud, qui était supposé venir mais à la dernière minute ce dernier n’a pas pu effectuer le déplacement car il débutait un tournage. L’idéal aurait été, bien sûr, que tous les professionnels qui ont recommandé un film puissent être présents pour participer à ce programme mais malheureusement tous n’ont pas pu venir. En outre, autre particularité, parmi les dix films sélectionnés, il y a un film recommandé par les professionnels du cinéma coréen.
Et pour évoquer votre question sur les diverses collaborations, Unifrance nous a beaucoup aidé et soutenu notamment dans la réalisation du livre en nous fournissant les photos, parfois inédites ou très difficiles à obtenir à cause des droits d’auteurs, qui sont publiées dans ce livre. Unifrance a également facilité les contacts et les démarches pour l’obtention des droits de diffusion des films. L’Institut Français de Séoul, autre partenaire de ce programme, nous a soutenu financièrement pour les droits des films et pour la publication du livre. Ce sont les deux institutions qui ont apporté leur plus grande collaboration à la mise en place de My French Cinema. Mais tous nos autres soutiens sont évidemment cités dans le livre.
CM. Pour revenir sur un élément mentionné dans votre réponse et qui nous a interpellé en regardant la programmation de My French Cinema, nous avons constaté que parmi tous ces films, un seul a été choisi par des professionnels du cinéma coréen. Nous aurions davantage vu un équilibre, une moitié de films choisie par des professionnels du cinéma français et une autre par des professionnels du cinéma coréen, pourquoi un seul film choisi par les professionnels du cinéma coréen ?
SW. Comme vous pouvez le voir, il y a cinq professionnels du cinéma coréen qui ont choisi un film français et ces cinq personnes, ce n’est pas n’importe qui. Ce sont des critiques de cinéma, des réalisateurs (KIM Jee-woon, JUNG Sung-il), l’ancien président du festival du film de Busan (KIM Dong-ho), des programmateurs… ce sont les mêmes professionnels qui ont contribué à l’élaboration du livre qui porte également le titre de “My French Cinema”. Dans le livre en question, nous avons demandé à ces cinq professionnels coréens appartenant à diverses générations d’évoquer leur perception du cinéma français. Leur choix de film pour le programme s’est porté sur “Marianne de ma jeunesse”, un film en noir et blanc de Julien Duvivier datant de 1955 et qui a été présenté au BIFF en 16 mm. C’était un véritable événement car il s’agissait d’un format spécial difficile à obtenir et c’est un film qui a vraiment influencé plusieurs générations et bon nombre de cinéphiles coréens.
CM. Pourquoi avoir effectué un choix si large au niveau chronologique, des années 50 à nos jours ? Pourquoi ne pas avoir demandé aux professionnels du cinéma de faire un choix de cinématographie plus récente ? Est-ce parce que c’est la première fois au BIFF que l’on présente une section spéciale sur le cinéma français ?
SW. Il existe une première raison à cela : tout d’abord parce qu’il y a dix ans, le BIFF avait déjà eu l’occasion de présenter un programme de films français plus récents dont le titre était, si je me souviens bien, “les cinéastes français contemporains”. Et puis, il ne faut pas oublier que chaque année le festival présente des films français récents dans sa programmation, notamment les films de l’année. Cette année encore, lors de la 20ème édition, plus d’une vingtaine de films français ont été sélectionnés et présentés au public coréen.
CM. Parmi toutes les personnalités du cinéma qui ont contribué à la réalisation de ce programme, nous avons vu qu’il y avait une autre personnalité qui n’appartient pas au monde du cinéma et qui est la Ministre française de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin. Comment s’est opéré ce choix d’inviter la Ministre Fleur Pellerin à proposer un film pour ce programme ?
SW. Au début, l’idée était principalement de demander aux professionnels du cinéma français de choisir les films. Mais lorsque le Directeur du Festival, LEE Yong-kwan a invité la Ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin pour célébrer ensemble le 20ème anniversaire du BIFF et l’Année France-Corée en avant-première, nous avons pensé que ce serait une très bonne idée de lui demander aussi de recommander un film français pour ce programme. Elle nous a fourni une première liste avec plus de dix films, mais bien sûr nous ne pouvions pas tous les montrer. En parcourant sa liste, nous avons vu que parmi ses choix de films, il y en avait un d’Arnaud Desplechin “Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle)” et nous avons pensé que ce serait intéressant de porter notre choix sur le film de ce réalisateur étant donné que nous présentions également un autre film de ce même réalisateur dans la section World Cinema. Fleur Pellerin avait également mentionné “Un Prophète” de Jacques Audiard dans sa liste mais le film faisait déjà partie de la sélection, il avait été choisi par le scénariste lui-même, Thomas Bidegain.
CM. Pouvez-vous nous évoquer les différents événements qui ont été programmés cette année au BIFF et qui sont en lien avec le cinéma français ?
SW. Outre les différents débats qui ont suivi la projection des films de My French Cinema tels que le “Special Talk” avec Claude Lelouch après la présentation de son film “Un homme et une femme” ou le “Talk to Talk” de Léos Carax, il y a eu d’autres types de débats avec le public ou encore des conférences de presse.
Nous avions par exemple cette année le nouveau film de Claude Lelouch “Un plus Une” dans la section Gala Presentation. Cette section, qui donne à voir un nombre restreint de films de réalisateurs de grand renom, ne compte que cinq ou six films par an et cela faisait longtemps que nous n’y avions pas présenté de film français. Après la projection presse de “Un plus Une”, nous avons également réalisé une conférence de presse officielle en présence du réalisateur comme nous le faisons pour tous les films de cette section.
Généralement, le BIFF n’organise des conférences de presse que pour les films présentés dans la section Gala Presentation. Mais le festival a reçu tellement de demandes d’interviews pour Léos Carax et Sophie Marceau qui avait un film, “Taularde”, dans la section World Cinema de la réalisatrice Audrey Estrougo, que nous avons décidé d’organiser deux autres débats en plein air. L’open talk de Sophie Marceau au BIFF Village, sur la plage de Haeundae, a remporté un vif succès auprès du public coréen, non pas uniquement auprès d’un public de cinéphiles plus âgés qui l’aurait découverte dans ses premiers films, mais aussi auprès de la jeune génération. Nous avons constaté qu’elle était également très suivie et aimée par un public plus jeune, aussi bien masculin que féminin. Au regard du succès de tous ces événements, je peux dire que c’est une très belle année pour le cinéma français à Busan.
CM. En effet, c’est ce que nous constatons, et d’ailleurs, même si le festival ne s’est pas encore achevé et que vous n’avez certainement pas encore les statistiques, que pouvez-vous nous dire sur la fréquentation des films français présentés dans ce programme spécial My French Cinema ou sur la vingtaine de films français présentés dans la sélection cette année ?
SW. J’étais présente lors du débat qui a suivi la projection du film d’Olivier Assayas “L’heure d’été”, aux côtés de Charles Tesson, également à la projection de “Marianne de ma jeunesse” et au film “Une chambre en ville” et j’ai été très etonnée moi-même de voir à chaque fois des salles pleines. Car, il faut l’avouer, généralement pour les programmes spéciaux et notamment pour les films qui ne sont pas de l’année, la fréquentation en salle est beaucoup plus faible. Je me suis moi-même posée la question sur le succès d’une telle fréquentation et je pense qu’il est dû à plusieurs critères. D’une part, le public coréen a une très bonne image du cinéma français et aime les films français. De plus, avec ce choix le public a pu découvrir des films de grands réalisateurs, des films d’une grande qualité. Et enfin le public a apprécié la tenue des débats à l’issue des différentes projections. L’occasion pour le public coréen d’en savoir plus sur chacun de ces films, de participer, de poser des questions. Pendant le festival, le public coréen privilégie souvent les films où le réalisateur ou bien des invités (“guests”) sont présents, cela leur offre l’occasion à l’issue du film, grâce aux séances de Q&A (questions/réponses) d’en savoir plus sur le film, de partager leurs impressions ou de tout simplement poser leurs questions au réalisateur présent.
CM. Pour conclure, nous aimerions évoquer avec vous, puisque l’Année de la France en Corée débutera en mars prochain, si vous savez quels seront les autres événements consacrés au cinéma français qui auront lieu au Busan Cinema Center (BCC) ? à Busan ou encore dans la capitale ?
SW. Le BIFF n’a pas ses locaux permanents à Busan, nous louons des bureaux dans le Busan Cinema Center pendant la période du festival et comme vous avez peut-être pu le constater, dans le Busan Cinema Center se trouve une Cinémathèque qui prévoit de faire une rétrospective sur un réalisateur français. Et de fait, si le programme est maintenu, elle devrait présenter l’année prochaine une rétrospective sur Jean-Luc Godard. Il y aura également plusieurs événements liés au cinéma français qui se tiendront dans d’autres villes pour célébrer la France en Corée. Il est possible de trouver tous les détails sur le site de l’Année France-Corée. D’autres festivals de films en Corée du Sud présenteront aussi des films français, tels que par exemple le Festival International du Film Fantastique de Puchon ou le Seoul International Women’s Film Festival (SIWFF), en partenariat avec le Festival International de Films de Femmes de Créteil en France. Donc, il y a quelques autres festivals qui vont l’année prochaine organiser une programmation spéciale sur le cinéma français. Le Korean Film Archive (KOFA) projette également de faire un programme spécial et le KOFIC (Korean Film Council) quant à lui organisera une projection itinérante de quelques films français partout dans le pays, dans différentes petites villes.
Et en France, comme nous l’évoquions auparavant, l’Année France-Corée ayant déjà débuté en septembre, de nombreux événements ont déjà lieu. D’ailleurs dans quelques jours, le Président du Festival LEE Yong-kwan et moi-même serons présents à Paris pour assister à une partie de la programmation du festival Séoul Hypnotique qui a lieu en ce moment au Forum des Images. Et malgré le titre du festival qui pourrait nous faire penser que la sélection est plutôt axé sur la capitale, il y a un programme dans la sélection qui s’intitule “Carte blanche au Festival de Busan” avec quelques films recommandés par M. LEE. Il y a notamment deux films de réalisateurs qui avaient aussi un film dans notre sélection cette année. Tout d’abord un film du réalisateur JEON Soo-il qui a fait une partie de ses études de cinéma à Busan qui présentera à Paris “I came from Busan” et le dernier film de la réalisatrice SHIN Su-won qui s’intitule “Madonna”, présenté au BIFF mais aussi en mai dernier au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard.
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Je tiens tout particulièrement à remercier très chaleureusement RHEE Soue-won pour le temps consacré à la réalisation de cette interview en pleine période de festival.
Crédits photos : © Nathalie Pampin
Liens utiles :
Site du BIFF : http://biff.kr/structure/kor/default.asp
Programme My French Cinema au BIFF 2015 : ici
Référence du livre : My French Cinema, BIFF Special Programs in Focus (n°19)
Pour suivre les événements de l’Année France-Corée : http://anneefrancecoree.com/
Programme Carte Blanche au Festival de Busan, au Forum des Images à Paris: ici
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