
La grève est un phénomène peu fréquent en Corée, réservé aux moments les plus noirs de l’histoire de la péninsule, tels que le début des années 1980, qui ont vu la dictature de Chun Doo-hwan remise en question par la population de Kwangju lors d’une insurrection qui aura eu raison de plus de 200 étudiants et syndiqués grévistes. Il est donc étonnant de voir qu’un soulèvement similaire a lieu actuellement au sein de l’industrie automobile, où environ 100 000 salariés ont cessé de travailler afin d’exprimer leur oppositions aux plans de Hyundai et Kia. Les syndiqués au sein de Samsung-Renault sont encore en phase de discussion avec la direction. Le coût de la grève temporaire est évalué à environ 50 millions d’euros selon le patronat combiné de Hyundai et Kia.
La Corée est le cinquième principal producteur de pièces automobiles, derrière le Japon, la Chine, les Etats-Unis et l’Allemagne. Pourtant, cette position pourrait rapidement décliner, les coûts de production en Corée étant trop élevés selon les différents groupes du secteur. Hyundai notamment a présenté un plan lui permettant de délocaliser la production d’un million de voitures en Chine, contre 500 000 actuellement. La grogne chez Hyundai a été ravivée suite à la publication des chiffres de l’entreprise, qui est passée d’un milliard d’euros de bénéfices en 2012 à 1,3 milliards en 2013, un chiffre partiellement expliqué par l’augmentation de la production en Chine, qui avoisine maintenant les 40%.
La menace d’une augmentation du travail temporaire ainsi que d’une délocalisation des usines des principaux intéressés en Chine dans un but de réduction des coûts ont ainsi incité les syndicats de Hyundai et Kia à s’associer afin de faciliter les discussions avec le patronat des deux groupes. Le système de chaebol (재벌), que nous avons présenté précédemment, rend les associations entre salariés difficiles car chaque groupe bénéficie de liens forts avec le gouvernement.
Les syndiqués des deux entreprises appartiennent au Syndicat des Travailleurs de la Métallurgie Coréenne (KMWU), le principal syndicat de la Confédération Coréenne des Syndicats (KCTU), qui compte 700 000 participants. Ceux-ci rassemblent un certain nombre de secteurs, parmi lesquels l’éducation, l’industrie et les services. La grève coordonnée entre deux géants de l’automobile coréenne est une première dans un pays réputé pour la docilité de sa population face aux vicissitudes du marché. Le choix des syndiqués de s’associer démontre donc une volonté forte de se démarquer du système centralisé où chaque salarié est une pièce du puzzle de l’entreprise.
Cette radicalisation du salariat coréen laisse à croire que la fin du rêve coréen est proche, alors que la zone Asie voit ses revenus stagner suite à un ralentissement de la croissance dans toute la zone. En Corée, celle-ci reste « fébrile » selon l’Institut Coréen de Développement (KDI), un avis confirmé par l’ombre d’une déflation proche aux dires du Ministre des Finances Choi Kyung-hwan. Si la grève perdure, il va sans dire que les producteurs coréens perdront rapidement des dividendes face aux autres pays leader du secteur, réduisant les espoirs d’un retour à la croissance rapide. Si Samsung-Renault n’est pas encore concerné, les discussions entre le patronat et les syndicats étant encore en cours, il est probable que les prochains jours apportent une résolution au statu quo. Alors seulement l’avenir de l’automobile pourra-t-il être réévalué et par extension, l’ensemble de l’industrie coréenne.
Crédits photos : https://communismeouvrier.wordpress.com
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