
Réalisateur émérite, personnalité reconnue et qualités humaines indéniables. Rencontrez Lee Hong-Ki, documentariste de référence en Corée du Sud.
Vous avez assisté à la seconde projection de Focus Corée. Le premier court-métrage « Hope Bus » soulève la question du travail des femmes qui est en expansion. Le second documentaire témoignait de Nord-Coréens en Russie. Qu’en avez-vous pensé ?
J’ai trouvé ça très bien. Ce qui est montré à propos des Nord-Coréens est tout à fait vrai. Jusqu’à maintenant, 300 000 personnes se sont enfuies de Corée du Nord pour aller en Corée du Sud et un peu partout dans le monde. Ces gens n’ont pas d’autorisations pour sortir du pays, et la situation n’évolue pas du tout. Beaucoup partent, et beaucoup meurent aussi à cause de la famine. C’est vraiment très triste.
De plus, les Coréens des deux côtés de la frontière se ressemblent mais ils ont été séparés trop longtemps. Aujourd’hui, les deux sociétés sont différentes ; les mentalités, les styles de vie sont différents. Ce doit être très difficile pour les nord-coréens, même si c’est une grande famille.. Et pour cela, c’est difficile de rassembler les deux pays.
Est-ce pour cela que de nombreux Nord-Coréens font le choix d’aller ailleurs qu’en Corée du Sud ?
Les Nord-Coréens préfèrent passer au Sud parce que les gens sont les mêmes et qu’ils ont l’impression de vivre au sein d’une famille. Pourtant, ils ne sont pas considérés comme des « Coréens » à part entière. Ils sont ostracisés. Cette situation n’est pas agréable pour eux. C’est pour ça qu’il y a des réfugiés qui quittent la Corée du Nord mais qui finissent par y retourner.
L’idéologie est très forte en Corée du Nord. Les réfugiés ne connaissent pas la liberté telle que nous la connaissons. D’ailleurs, quand Kim Jong-il est décédé, ils ne savaient plus quoi faire. Pourtant, même si les deux Corées se sont énormément séparées avec le temps, beaucoup veulent encore la réunification.
Et en Corée du Sud, beaucoup de gens ne savent pas ce qui se passe au Nord, ils se demandent pourquoi ils n’ont pas le droit d’y aller, ils ne trouvent pas ça normal que les Coréens du Nord aient le droit de passer au Sud…
La Corée du Nord, c’est 20 000 000 personnes, et 2 000 à Pyongyang. Le plus simple, c’est de passer par la Russie, mais la plupart des gens passent par la Chine puis par toute l’Asie du Sud-Est pour aller dans une ambassade et être rapatriés en Corée du Sud. Souvent ils meurent en chemin.
Beaucoup de gens sont partis au fur et à mesure, parce qu’au début, la vie en Corée du Nord était beaucoup mieux, mais ça s’est dégradé avec le temps, et maintenant, avec Kim Jong-un, c’est toujours pareil : il y a 2 000 personnes qui vivent à Pyongyang, et les autres veulent s’enfuir.

© KNS/AFP
Comment voyez-vous l’évolution de la Corée du Nord avec Kim Jong-un ?
Pour être honnête, je ne sais pas du tout comment ça va évoluer. Sous Kim Jong-il, la pensée unique du juché était très forte, mais maintenant, on ne sait pas trop ce qui va se passer parce que Kim Jong-un est une vraie énigme, personne ne sait trop qui il est, et c’est la troisième personne à la tête de la Corée du Nord donc je ne sais pas si les choses vont changer…
En Occident, certains se demandent même si c’est vraiment lui qui dirige le pays…
Je ne sais pas du tout. C’est très difficile d’obtenir des informations à ce propos. On parle beaucoup de militaires, de missiles, même de puissance atomique mais on ne sait pas trop. On entend qu’ils construisent des missiles mais je pense qu’il n’y en a pas, je pense que c’est du bluff. On pense qu’ils vont tirer sur tout le monde mais en Corée, on sait qu’ils n’ont pas la puissance économique pour attaquer tout le pays donc ils n’attaqueront que la frontière s’ils doivent le faire. Je n’ai vraiment pas peur de ce côté-là, ils ne vont pas bombarder tout le pays. En vérité, j’ai plus peur des représailles américaines et du Japon, qui risquent d’attaquer la Corée du Nord parce que ça va créer des problèmes. La Corée du Nord, elle, n’attaquera pas. Et si elle le fait, ce sera par la mer [du Japon] et les Japonais penseront qu’ils sont attaqués. A Séoul, il y a plein de posters à ce propos sur les magasins mais il n’y a aucun ressenti, comme s’il n’allait rien se passer.
Pensez-vous que les pays alentours (la Chine, le Japon…) attendent que la Corée du Nord soit assez faible pour se disputer son territoire, en prétextant un pouvoir économique lié aux industries placées en Corée du Nord ?
C’est une grande question. Ce qui est sûr, c’est qu’au niveau individuel, les transfuges nord-coréens sont de plus en plus en relation avec les proches qui sont restés en Corée du Nord. Généralement, les transfuges vont travailler à l’étranger et envoient de l’argent à leur famille, par le biais de passeurs chinois.
A Séoul, certaines personnes utilisent un téléphone portable pour appeler et vérifier que l’argent est bien arrivé en Corée du Nord. Malheureusement, si les Nord-coréens sont surpris avec un téléphone portable, ils peuvent être arrêtés et emprisonnés. C’est très effrayant. Pour les Sud-coréens, c’est très dur de penser à quel point cela peut être dangereux de l’autre côté de la frontière. Du coup, ils préfèrent penser à leurs études, voir leurs amis, etc.
D’ailleurs, les Nord-coréens qui se réfugient au Sud changent complètement de mentalité, et certains deviennent même des stars ! Certains aussi travaillent pour le gouvernement sud-coréen. Comme ces derniers travaillent pour le gouvernement, il arrive qu’ils soient rejetés par leur propre famille au Nord.
Il y a tout de même une période où ils doivent aller dans un institut pour apprendre la vie en Corée du Sud
Hanawon, c’est un établissement où on apprend la vie en Corée du Sud. Ce qui se passe, c’est que les transfuges passent d’abord un interrogatoire pour vérifier qu’ils ne sont pas là pour espionner la Corée du Sud pour le compte du Nord. Ils sont ensuite encadrés par le comité du congrès dans les centres de réhabilitation.
Les sujets sur les deux Corées, et le déploiement de la Corée du Sud, font de plus en plus parler d’eux, et aussi en France. Trouvez-vous que le public français ait un intérêt particulier pour la culture et l’histoire coréenne ?
Cela fait longtemps que la France et la Corée ont des relations d’échange. Lors de la guerre de Corée, beaucoup de gens sont partis, dont certains en France. Ça a commencé à se démocratiser comme ça.
Qui plus est, les Coréens ont une très bonne image de la France. Du coup, c’est assez difficile pour eux quand ils arrivent en France car ce n’est pas du tout ce qu’ils avaient imaginé. La Corée, c’est très moderne donc ils viennent en France pour voir les choses du passé. Les coréens apprécient le mélange entre la tradition et la modernité en France.
Pourtant, c’est justement le sentiment des français par rapport à la Corée.
C’est super que les français apprécient ça en Corée !
Les français perçoivent plus le côté ancien, vieux, de leur pays que la modernité.
Ah, ce n’est pas « vieux », ce sont des choses héritées du passé qui ont été améliorées avec le temps, alors qu’en Corée, nous détruisons tout avec le temps. Car à l’époque, la priorité était donnée à ce qui était vraiment important. Entre autre reconstruire, et rapidement.
En France, beaucoup de choses sont désignées comme haut de gamme. Une personne fabrique une chose avec le sens du détail parce que la culture garde une logique d’artisanat. En Corée, si nous prenons l’exemple de LG, qui détient 1% du PIB en Corée, ils font de l’air conditionné, mais ça ne tient pas sur la durée. Quand ce n’est plus en état, on jette et on remplace alors qu’en France, on améliore.
Le public sud-coréen est donc sensible aux sujets de fond tel que celui de la Corée du Nord. Le public est-il réceptif aux documentaires, quels tabous soulèvent-ils ?
Le but d’un documentaire, c’est de montrer la vérité. La question tabou de fond, c’est le nucléaire. On n’en parle pas en Corée, et il y a beaucoup de mensonges à ce propos. Si on prend l’exemple de Fukushima, on ne présente jamais les vrais dangers du nucléaire et on ment à ce propos. Le réacteur à Fukushima a fui pendant tout le mois d’avril 2011, mais on a dit que la Corée n’a pas été touchée.
Comme en France à l’époque de Tchernobyl, dont le nuage s’était soit disant arrêté à la frontière.
Quel mensonge ! Les effets se font encore ressentir partout et c’est loin d’être fini. En France comme en Corée, les déchets nucléaires sont enterrés et c’est très dangereux ! On dit qu’on a endigué le problème mais les gens le ressentent physiquement : ils ont des douleurs respiratoires par exemple, ce qui prouve qu’il y a un problème. En plus, personne n’a jamais vérifié ce qu’il y avait au centre du réacteur de Tchernobyl. Ça ne vous fait pas peur ?
Vous est-il arrivé de proposer des thèmes un peu tabous qui vous tenaient à cœur et qui ont été refusés ?
Non, ça ne m’est jamais arrivé. Je veux faire beaucoup de choses mais je n’ai jamais eu ce problème. Parfois, il faut tout de même beaucoup d’argent. Par exemple pour Fukushima, il a fallu énormément d’argent. J’y suis allé 5 fois et j’ai préféré donner personnellement et m’impliquer au lieu de filmer. De toute façon, on ne pouvait pas amener sa caméra sur place. Et à vrai dire, qui est-on pour juger ?
Avant que je tourne « Cloud Path », nous avons eu beaucoup de financements. Nous étions à Manhattan dans un building immense, de très haut standing. Je me suis dit que tout cela était très superficiel, alors j’ai décidé de me raser la tête et de ne garder que l’essentiel dans mon sac et de changer de mode de vie pour me concentrer sur l’essentiel.
Autre exemple aussi. A Cuba, il y a des OGM et beaucoup de pesticides. Le sol est complètement dévasté et même les enfants y sont confrontés. Ça n’allait pas du tout alors les agriculteurs ont fait une immense jachère pour assainir le sol. Au final, tout s’est bien passé.
Les pacificateurs ont beaucoup de pouvoir dans ce genre de situation, comme à la frontière avec la Corée du nord où il y a toujours des militaires. Chaque personne a un rôle considérable à jouer dans la bonne marche du monde. Nous sommes responsables de notre propre rôle. Il faut apprendre à rester humble et être reconnaissant de ce qu’on a, ce qui est rare en Corée parce que la société est très consumériste, mais je pense que c’est très important.
Quelle place prend le documentaire dans l’industrie cinématographique en Corée du Sud ?
Il y a moins d’investissements, donc la priorité est mise sur la fiction.
Pourquoi avoir voulu choisi de réaliser des documentaires ?
Je voulais montrer la vérité de la misère humaine, ce que les documentaires peuvent montrer, sinon on ne sait pas ce qui se passe réellement.
Avez-vous toujours voulu réaliser des documentaires ?
Oui, depuis que je suis enfant. J’avais un professeur qui m’a montré beaucoup de vidéos. Je n’aimais pas les fictions, ni les dramas, et je m’intéressais surtout à ce qui montre la vraie vie. En termes de diffusion, la fiction et les documentaires ne sont pas du tout diffusés de la même façon. Je préfère les canaux de diffusion du documentaire, qui sont selon moi plus intéressants que simplement montrer une œuvre une fois comme ça.
Votre dernier documentaire, « Splendid But Sad Days », montre une femme qui rompt avec sa vie d’avant à la mort de son mari. Dans « Cloud Path » aussi, le personnage principal change complètement de vie. Cette « rupture » est-elle le thème central de votre œuvre ?
Non, ce n’est pas vraiment ça. Il s’agit plus de montrer une certaine vérité, et de la compréhension.
Pouvez-vous expliquer le titre « Splendid But Sad Days » ?
Quand quelqu’un meure, c’est difficile, mais on se relève toujours. Dans la nature, les choses naissent et vivent jusqu’à ce qu’elles meurent. Le titre en caractères chinois s’écrit « 川頁天 » [littéralement « courant (d’un ruisseau/torrent), tête/page, ciel/paradis, Dieu », ce qui signifie « le chemin vers la compréhension du ciel » et reflète le cycle d’acceptation de la souffrance liée à la mort d’un être cher avant de devenir plus fort]
A la mort de son mari, elle a atteint ce niveau d’abnégation où elle accepte ce qui s’est passé et en ressort grandie, ce qui est « splendide » dans la conception bouddhiste du monde qui consiste à dépasser les réalités matérielles pour apprécier la beauté du monde.
Souhaitez-vous réaliser d’autres documentaires qui associent la Corée à d’autres pays ?
Oui, bien sûr. Je ne sais pas trop quels pays, mais je ne veux pas filmer que la Corée. Je veux voir d’autres gens, voir ce qui se passe dans les autres pays. Le monde entier m’intéresse.
J’aimerais beaucoup réaliser un film sur Paris aussi. Je n’ai pas encore décidé, mais j’aime rencontrer des gens et m’ouvrir à de nouvelles idées.
Crédits photos : © Corée Magazine
Découvrez la filmographie de Lee Hong-Ki :
2011. « Splendid but Sad Days »
2009. « Ten Chu, A North Korean Defector’s Story »
2006. « Unusual Pilgrimage – A Special 18 Days Journey »
2005. « Cuban Agricultural Revolution »
2002. « Nature’s Gold – A Beekeeper’s Journey »
1997. « Cloud Path,The Way of wandering Monks »
Commentez l'article !