
Le cycle Focus Corée, une initiative d’ICTV Solférino suit son cours. La troisième projection a eu lieu le 14 mai. Contrairement aux fois précédentes, celle-ci se concentrait sur un coup d’éclat pour faire changer les mentalités en Asie du Sud-Est.
Une fois n’est pas coutume, cette troisième édition a su innover en proposant en ouverture une lecture d’Evadés de Corée du Nord, un roman de Juliette Morillot lourd de sens, mettant en relief les différences fondamentales entre les deux parties de la péninsule, qui semblent irréconciliables.
Le court extrait s’est notamment attaché à rappeler les particularités linguistiques de chaque côté du 38° parallèle. Si, en Corée du Sud, l’utilisation de termes à base de caractères chinois est chose courante, ceux-ci ont longtemps été interdits au Nord afin de soutenir le juche, politique d’auto-suffisance édictée par Kim Il-sung. Ainsi, si l’habit traditionnel s’appelle hanbok (한복) au Sud, on le désigne sous le terme joseonot (조선옷) au Nord.Il en va de même pour la maison coréenne, le hanok (한옥) devenant joseonjib (조선집). Les Nord-coréens passés au Sud ont conscience de ces particularités, qui les ostracisent malgré leur volonté d’intégration. L’incompréhension frappante du personnage principal et son sentiment de solitude au sein d’une population qui lui ressemble mais ne parle pas la même langue est palpable dans l’extrait, qui n’a pourtant duré qu’une dizaine de minutes. Celui-ci laisse la place en douceur à un film poignant, « A la croisée des frontières »de Lee Harkjoon, Ko Dongkyun et Seok Hein S.
ICTV Solférino nous avait habitué à des productions extrêmement immersives, où le spectateur se prend de sympathie pour les protagonistes et se sent emporté par leur histoire. Loin des sentiments d’espoir et de colère forts ressentis lors des premières séances, « A la croisée des frontières » apporte un peu de recul en présentant une image plus globale de la situation des réfugiés. Si, comme on l’a vu dans les précédents films, les Coréens du Nord attrapés en Chine sont renvoyés à la frontière, il n’en va pas de même pour la majorité des pays d’Asie du Sud-Est. Comme l’Empire du Milieu, ceux-ci ont pourtant des relations diplomatiques cordiales avec la Corée du Nord, ce qu’attestent les restaurants nord-coréens que l’on peut voir au Cambodge. La majorité des voisins de la Chine reconnaît les Coréens du Nord comme citoyens coréens, et les ambassades de Corée du Sud du Cambodge, du Laos, de Thaïlande et de Birmanie accordent l’asile politique aux transfuges. Le Viêt-Nam, en revanche, ne considère pas les Coréens du Nord comme des réfugiés ; ceux-ci, n’ayant pas de papiers en règle, ne peuvent faire valoir aucun droit àl’ambassade de Corée du Sud à Hanoi, et risquent donc d’être renvoyés au Nord, où eux-mêmes et leurs familles encourent des peines de prison pour défection.
Le film débute dans la province de Guilin, au Sud de la Chine. Le pasteur Peter Jeong rassemble 9 réfugiés pour leur faire passer la frontière. Avec l’aide de Kim Sang-hoon et James Petierson, il va essayer de créer un mouvement en envoyant les transfuges par petits groupes dans différentes ambassades. Ce coup d’éclat devait montrer à l’opinion internationale la situation des Coréens du Nord échappés de leur pays, et avait pour but de faire évoluer les mentalités dans un pays qui a lui-même vécu une déchirure profonde pendant une guerre qui a semblé n’en plus finir. Pourtant, la division très douloureuse semble très loin des préoccupations des autorités vietnamiennes, qui ne se soucient guère des réfugiés nord-coréens. Une partie des réfugiés ayant été interceptés à la frontière chinoise, cette tentative de sensibilisation ne pourra pas aboutir. Loin de se décourager, les activistes cherchent alors à faire valoir les droits de leurs protégés pour les mettre en lieu sûr. Pour ce faire, il suffit de trouver une ambassade accueillante, et le plus simple semble de s’adresser à une ambassade qui n’a pas de relations avec la Corée du Nord. Ils jettent donc leur dévolu sur celle du Danemark, qui acceptera de faire passer les transfuges en Corée du Sud sans contrainte spécifique.
Ce film, s’il semble de prime abord plus léger que les précédentes projections du cycle « Focus Corée », soulève une question fondamentale dans le traitement des transfuges : les relations macro-économiques entre les différents pays du continent. Les accords avec la Chine d’une part, les tarifs préférentiels sur les denrées de la vie quotidiennes vendues par le Sud et la force des liens diplomatiques avec l’Asie du Sud-Est d’autre part, garantissent à la Corée du Nord un poids de taille à l’échelle locale, bien qu’elle continue à dépérir faute de récoltes suffisantes. Le spectateur restera particulièrement estomaqué par la position vietnamienne, alors même que le pays a subi la même division et les mêmes différences idéologiques que la Corée. Il convient tout de même de rappeler les échanges fréquents entre Kim Il-sung et Staline, toujours perçu comme une figure phare dans les pays communistes d’Asie du Sud-Est que sont le Viêt-Nam, le Cambodge et le Laos.
L’ouverture des frontières birmanes pourra-t-elle changer la donne ? Rien n’est moins sûr, tant que le pouvoir en place dans l’Empire du Milieu soutiendra la Corée du Nord face aux autres puissances de l’OTAN. La Chine, par son histoire et son miracle économique, possède une aura inégalée en Asie, et ses rapports étroits avec l’ensemble des marchés du continent n’incitent pas les pays émergents à adopter une position plus ferme vis-à-vis du régime autoritaire au Nord du 38° parallèle.
« A la croisée des frontières » a le mérite de rappeler que la situation des transfuges ne se limite pas à traverser le fleuve Tumen ou la frontière chinoise, mais que les embûches sur le chemin des réfugiés sont nombreuses jusqu’à leur arrivée en Corée du Sud, qui reste la destination de choix de la majorité d’entre eux. A ce jour, la position vietnamienne vis-à-vis des transfuges coréens n’a pas changé, et aucune opération n’a été programmée pour relancer le dialogue autour de la question de l’asile politique des populations en danger. Les transfuges continuent donc à privilégier le passage par le Triangle d’Or, où attraper la malaria est un risque quotidien ; l’arrivée dans un pays prêt à les faire passer en Corée du Sud est un but suffisant pour braver une zone tribale où les conflits font toujours rage dans un environnement que les gouvernements ont encore beaucoup de mal à contrôler.
Nous vous donnons rendez-vous à la quatrième et dernière projection de Focus Corée qui vous présentez ledocumentaire « En quête d’un havre de paix » : le mardi 11 juin à 20h.
Crédits photos documentaire © ICTV-Solférino
Crédits photo projection/lecture © Corée Magazine
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