
Le mercredi 16 janvier 2013, l’ISCC accueillait une conférence donnée par le Professeur Yoo Jung-Hwan pour nous aider à comprendre les 18èmes élections présidentielles en Corée du Sud.
À l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS, on s’intéresse aussi à la Corée du Sud. Ainsi, l’Institut accueillait le Professeur Yoo Jung-Hwan, spécialiste des sciences politiques, notamment sur les affaires coréennes.
Le 19 décembre 2012 avait lieu les 18èmes élections présidentielles en Corée du Sud. Ces élections sont entrées dans l’histoire avec l’élection de la première femme à la présidence du pays, Mme Park Geun-Hye. Ces élections ont marqué un changement fort, et accentués certaines caractéristiques du système démocratique sud-coréen.
Premier fait marquant, les élections ont amenés pas moins de 40 500 000 citoyens dans les urnes, comptant ainsi un taux de participation de 75,8% ! Nous sommes bien loin du record des élections de 1987, transition démocratique après les luttes populaires de juin 87 qui avait amenées le taux de participation à 89,2%.
Les élections de décembre ont plusieurs caractéristiques :
– 89,9% des quinquagénaires ont voté, taux bien plus élevé que chez les jeunes.
– Il n’y a pas eu de 3ème candidat important ce qui a laissé place à un duel des candidats restants.
– Les partisans de Moon se situaient majoritairement dans la ville de Séoul alors que ceux de Park étaient principalement en région.
– Les électeurs n’ont pas voté pour Park Geun-Hye parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle est la fille d’un ancien « président », ce qui laisse en suspend la question de l’ancienne dictature.
– De façon générale, le peuple souhaitait vivre le changement de présidence dans la stabilité plutôt que dans la réforme progressiste. Et pourtant, les deux candidats n’avaient pas des programmes si éloignés, mais leur positionnement vis-à-vis du peuple différait.
Le phénomène Ahn Cheol-Soo
Ahn Cheol-Soo a été comme un agitateur dans cette campagne présidentielle. Personnage très populaire auprès du peuple sud-coréen, il a entamé sa campagne présidentielle en souhaitant la participation de la société civile, notamment des jeunes et des citadins. Malgré l’engouement créé, Ahn Cheol-Soo n’avait pas de parti et il lui était difficile de garder sa place en politique. Affiliation « largement incitée » et ne pouvant être réformée, l’opposition estimait qu’il fallait un candidat unique par parti. Aussi, Ahn Cheol-Soo a-t-il décidé de se retirer, à nouveau, de la course à la présidentielle.
Un régionalisme qui dure
La dictature qu’à connu la Corée du Sud a fait naître à l’époque une discrimination régionale. Lors de son régime dictatorial, Park Chung-Hee a permis à sa région d’origine, la province du Gyeongsang, de bénéficier d’intérêts politiques, mais aussi économiques, laissant ainsi pour compte la province du Jeolla. Ce déséquilibre fît naître le cœur de l’opposition à la dictature dans cette région de Jeolla.
Le 26 octobre 1979, après un pouvoir de 18 ans, le président Park Chung-Hee est assassiné, mettant fin à son régime autoritaire de façon brutale. L’instabilité créée par la suite sera pour l’opposition la seule et unique chance de se révolter. Ce n’est qu’en mai 1980 qu’aura lieu le très connu massacre de Gwangju. Capitale du Jeolla, la ville de Gwangju verra l’opposition se soulever contre le nouveau pouvoir représenté par le Général Chun Doo-Hwan. Cette division des régions aurait pu s’estomper avec la démocratisation du pays en 1987. Hors, il existe encore une exploitation électorale de ce régionalisme, qui ne demande qu’à disparaître.
Un choc générationnel
Comme évoqué, la majorité de l’électorat sud-coréen était formée par les quinquagénaires. Phénomène bien connu en Asie, la population vieilli. La population vieillissante de la Corée du Sud est divisée en deux groupes :
– les quinquagénaires en question, dits « génération de baby-boom », étant nés entre 1955 et 1962, qui ont marqués leur différence en votant massivement.
– Et les plus jeunes, dits la « génération 386 », en référence au nom du modèle d’ordinateur IBM. Cette génération a eu un rôle crucial dans les années 80 pour le développement politique en Corée du Sud.
Cette population vieillissante est la plus touchée par la situation économique du pays. Avec la bulle immobilière, ils sont devenus débiteurs, notamment dû aux empreints bancaires. Leurs enfants ont maintenant l’âge d’aller à l’Université dont les frais de scolarité sont beaucoup trop chers. Et qui plus est, l’emploi manque.
Cela se traduit pour les jeunes par un « triple abandon ».
Les illusions de l’opposition
Pour l’opposition, trois illusions ont conduit à leur défaite. La première est l’alternance. Cette alternance politique, l’opinion publique est pour à 53,5%. Néanmoins, le Président sortant, Lee Myung-Bak, laisse une impression de médiocres performances sur les questions d’économie, de sécurité et de diplomatie. De plus, la démocratie est mise à mal. Les droits de l’homme doivent être soutenus avec plus de force et la presse est restée très conservatrice.
La seconde illusion est celle du candidat unique. L’opposition garde en mémoire cet effet de candidat unique devant être soutenu par les autres candidats, en retraits. Hors, ce soutien n’a pas été assez visible, et a été trop tardif laissant place à un relai négatif de la part de la presse coréenne.
La troisième illusion est celle du taux de participation et notamment du taux de regroupement des électeurs sur Internet. En effet, la Corée du Sud compte environ 30 Millions d’abonnés sur smartphone, toutes générations confondues. C’est là que la surprise a pu être créée. Des quinquagénaires ont beaucoup échangés sur les réseaux sociaux, surtout sur kakaotalk. Ainsi, des groupes de personnes âgées, groupes de 10 à 1000, se sont regroupés aux urnes à la même heure pour aller voter.
L’importance du clivage politique depuis 1987
Depuis 1987, les élections se font par suffrage universel direct à un seul tour. Le Président est élu pour un mandat de cinq ans non rééligible. Cela laisse peu de place aux compromis.
De plus, le clivage politique est resté très manichéen contrairement à une société coréenne moderne, dynamique et changeante. Malgré l’évolution de la société, les clivages se sont renforcés, notamment par l’alimentation des « rivalités » entre régions, entre âges. L’industrialisation et le mode démocratique actuel sont deux forces qui se confrontent.
C’est pourquoi ces élections ont fait ressortir cette pathologie de la politique coréenne face à la réalité sociétale.
Que faire ? Reste-t-il de l’espoir pour l’alternance ?
Les statistiques d’opinion publique montrent l’existence d’un « centre » politique. Il faudrait donc laisser se former un troisième parti politique, centriste, pour prendre place entre la droite et la gauche. Mais pour cela, il faudrait changer la loi électorale, et rien ne dit que la nouvelle Présidente le fera. Faut-il réviser la Constitution pour un système politique plus réaliste ?
www.iscc.cnrs.fr
Lire le résumé biographique du Professeur Yoo Jung-Hwan : http://www.iscc.cnrs.fr/spip.php?article1720
Plus d’informations sur Park Geun-Hye : http://www.korea-press-production.com/lang/fr/la-nouvelle-18eme-presidente-de-la-republique-de-coree-est-madame-park-geun-hye/3299
Crédits photos : © AFP/ Dong-A Ilbo
Commentez l'article !