
Hwang Sok-yong est l’un des auteurs coréens les plus reconnus à l’international. Princesse Bari, 바리대기 publié en 2013, nous plonge une fois encore dans un univers où la fracture entre les peuples, le chamanisme et la tolérance règnent en maîtres.
Hwang Sok-yong est l’un des auteurs coréens les plus reconnus à l’international et pour cause : ses romans politisés résonnent avec des audiences qui ne sont pas forcément familières avec la culture coréenne. Néanmoins, il en reste un auteur 100% coréen, qu’il s’agisse de ses thèmes de prédilection ou de la rédaction elle-même. Princesse Bari ([barideki], 바리대기, publié en 2013) nous plonge une fois encore dans un univers où la fracture entre les peuples, le chamanisme et la tolérance règnent en maîtres.
Bari naît septième fille d’une famille nord-coréenne dans les années 1990. Son père, fonctionnaire respecté à Chongjin, désespère d’obtenir un fils, aussi la mère de l’héroïne décide de s’en débarrasser, d’où le nom de l’enfant (바리 [bari] signifie abandonnée). Sa grand-mère découvre que le nourrisson possède des dons chamaniques et en fait sa protégée dès sa plus tendre enfance. Cette relation avec son aïeule est un point central dans l’évolution du personnage, qui affronte de nombreuses épreuves et ne peut se fier qu’à sa grand-mère, qui l’accompagnera jusqu’à la fin du roman.
L’une des questions principales du roman tient en une phrase simple que Bari, alors adolescente, énonce tôt dans le récit : « Pourquoi avons-nous créé des frontières ? » S’il s’avère que la jeune fille part de Corée du Nord pour se retrouver en Chine puis au Royaume-Uni, elle exprime à de nombreuses reprises sa perception d’un monde uni où les frontières et différences religieuses sont des construits sociaux : en effet, elle passe sans difficulté particulière la frontière naturelle entre la Corée du Nord et la Chine lorsqu’elle franchit le fleuve Tumen. Son périple vers le Royaume-Uni, bien plus pénible, relève d’un autre questionnement, lié au traitement des clandestins. Il ne s’agit alors plus pour Bari de quitter un pays mais d’une quête identitaire lors de laquelle elle quitte son cocon d’adolescente pour devenir femme.
L’héroïne est majoritairement confrontée aux couches les plus immorales de la société au cours du récit : trafic d’être humain, prostitution, torture, usuriers véreux, famine, mort… Bari se retrouve très tôt dans l’enfer du monde réel, où elle apprend à faire face à des situations difficiles, qu’il s’agisse du décès de membres de sa famille, de relations humaines biaisées ou encore de punitions non méritées. L’ensemble des personnages qu’elle rencontre appartiennent à des minorités visibles tels que les Pakistanais musulmans du Royaume-Uni ou encore les masseurs clandestins venus d’Asie orientale. Pourtant, elle ne pose jamais de regard différent sur ses interlocuteurs, et démontre très tôt une tolérance rare. Cette capacité à accepter autrui tient à deux facteurs : les prémonitions chamaniques qui scellent son destin, et un apprentissage des pires challenges auquel un enfant peut être confronté, tels que la vue d’innombrables cadavres à Puryong, avec les fantômes desquels la jeune Bari converse aisément.
Le chamanisme coréen diffère grandement des autres religions que l’on trouve dans la péninsule, ainsi que des autres formes de chamanisme qui existent aux quatre coins du monde. Il s’agit notamment d’une religion entièrement féminine, les mudang (무당) étant quasiment toujours des femmes. Bari, tout comme sa grand-mère, est capable de passer de la réalité tangible au monde des esprits sans effort particulier. Le roman est parsemé de visions et de rêves prédisant la suite de ses aventures, et à terme, la marche du monde. Bari est une chamane particulièrement douée, capable de déceler les secrets des vivants sans indice ou encore de parler naturellement avec les fantômes des défunts. Les nombreux passages spirituels renvoient pourtant à la conception coréenne du chaman : loin des images de calumet de la paix, le chamanisme coréen est très fortement ancré dans la réalité. La consommation de substances hallucinogènes, chère aux cultures amazoniennes, n’ont pas lieu d’exister dans le récit de Bari. Le seul cadre chamanique universel dans lequel elle se retrouve est celui de l’étouffement, qu’on retrouve aussi dans la toundra russe. Bari met ces instants à profit pour rester en contact avec la grand-mère, qui officie comme une protectrice au long de l’ouvrage.
Les thèmes primordiaux tels que la situation économico-politique en Corée du Nord et les relations familiales sont des sujets qui touchent Hwang et sont souvent connus du public. Princesse Bari parvient à offrir un roman fortement politisé qui intéressera les amateurs de géopolitique tout en accordant une place considérable au réalisme, ainsi qu’au spiritualisme coréen. Ainsi, le roman est à la croisée des questionnements qui touchent la péninsule depuis des dizaines d’années, notamment à propos de la question nord-coréenne. Là encore, Bari apporte un regard neuf sur un sujet difficile à traiter : « Lorsque, beaucoup plus tard, j’ai découvert tous ces gens heureux de vivre dans leurs grandes villes éclatantes de lumières, j’ai éprouvé un cruel sentiment d’amertume en me disant que le monde nous avait oubliés, abandonnés à notre sort. » Elle parvient malgré tout à pardonner et à aller de l’avant, devenant le parangon de la tolérance, une valeur chère à l’auteur.
Le roman présenté lors du Festival Regards sur la Corée connaît depuis ses débuts en français un grand succès et ne manquera pas de vous plaire.
L’ouvrage est disponible aux éditions Picquier.
Lire un extrait du livre.
Crédits photo à la une : ©Topic Photo Agency / Corbis pour les éditions Philippe Picquier
Crédits photos : ©Corée Magazine
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