
Mon coup de cœur d’été littéraire va pour le très beau livre de la coréenne Pak Wan-Seo, Trois jours en automne.
Pak Wan-Seo est née en Corée en 1931. Sa jeunesse est profondément marquée par la guerre de Corée. Elle ne fait ses débuts comme écrivain qu’assez tardivement, avec la sortie en 1970 de son premier ouvrage, L’Arbre nu. Depuis, elle accumule les prix littéraires les plus prestigieux récompensant une œuvre exigeante qui porte un regard sans complaisance sur la société coréenne moderne. Parmi ses œuvres les plus connues : Les Piquets de ma mère (1981, publié en français), Cet hiver était vraiment doux (1983), Est-il toujours en train de rêver ? (1989), Illusion (1990), Qui a mangé tout le singa ? (1992). Ce dernier récit autobiographique s’est vendu en Corée du Sud à 1,5 million d’exemplaires. Pak Wan-Seo est décédée en 2011 des suites d’un cancer.
Trois jours en automne est un court roman où la lecture s’écoule sans résistance grâce au style narratif épuré qui permet de se focaliser sur la complexité et sur les tourments des personnages. On appréciera également chez Pak Wan-seo la bonne idée d’avoir divisé ce court roman en trois petits chapitres : plus que trois jours, plus que deux jours et le dernier jour. Un décompte qui permet au lecteur de partager à la fois la tension, le stress et l’espoir qui anime la vie du personnage principal. Ce dernier est une gynécologue qui a décidé d’ouvrir une clinique alors que la Corée était toujours en période de guerre.
À l’aube de sa retraite, le personnage principal, qui est aussi la narratrice, nous raconte sa vie de femme gynécologue tout en critiquant de manière parfois virulente le monde dans lequel elle vit. Des anecdotes racontées avec un humour noir, reflet de l’amertume du personnage.
On débute alors notre lecture :
« Il ne reste plus que trois jours. »
Pak Wan-seo titille la curiosité du lecteur dès le début puisqu’elle omet volontairement de nous dire la finalité de ces trois jours. On comprend par la suite que le jeu mis en place par l’auteur est magistralement judicieux. En effet, quelques lignes plus tard, la narratrice s’arrête sur la description d’un fauteuil en velours qui semble n’avoir été d’aucune utilité pendant trente ans. Une description imperceptible aux yeux des uns, et plus que troublante chez les autres. Mais pourquoi donc la narratrice s’attarde t-elle sur un fauteuil a priori inutile ? Quelle est donc la symbolique cachée derrière ce siège ?
Bon gré mal gré, le lecteur part à l’assaut d’une interprétation dissimulée dans le texte. Peut-être que ce fauteuil n’est qu’une représentation matérielle de l’âme tourmentée de la gynécologue. Toutefois, le lecteur dispose du droit et cela de manière légitime à déceler une autre lecture.
La narratrice nous épargne l’énumération sordide d’évènements dans le récit et préfère laisser place à une lecture à double sens où les sentiments de colère et de compassion s’entremêlent. On détecte alors à travers les lignes le cri de détresse lancée par la gynécologue. Un cri puissant et pourtant inaudible aux gens qui l’entouraient. Victime d’un viol, elle s’efforça de continuer à vivre avec pour seule bouffée d’oxygène la haine qui l’habitait. Une haine qui, aussi saloperie qu’elle puisse paraître, fut le moteur de sa carrière. Elle lui permit de guérir des femmes victimes comme elle d’un animal revêtit d’une apparence humaine. Ces mots sont si durs qu’elle arrive même au point d’assimiler le fait de porter un enfant non désiré à une maladie. Une maladie dont elle seule possède le remède :
» Quand elles viennent me voir, enceintes d’un enfant non désiré, la plupart arrivent arborant des visages empreints du plus profond désespoir, comme quelqu’un qui souhaiterait tomber foudroyé. Puis quand le fœtus est proprement et complètement éliminé, leurs visages prennent sur le champ un air insouciant et paisible. Ma capacité à éradiquer les racines de leur souffrance sans laisser la moindre trace est proprement miraculeuse. Pour accomplir cela, il faut nourrir en soi une haine viscérale pour cette douleur imposée aux femmes. Je suis celle qui les libère de ce martyre. » (p.62-63)
Le personnage s’auto-proclame comme le messie de ces malheureuses femmes victimes de la barbarie des hommes. Cependant, elle réalise peut-être un peu trop tard que la guérison physique est moindre face à la douleur psychologique. Toute cette haine et ce plaisir qu’elle a ressenti en éradiquant la maladie dès sa racine ne lui donnait satisfaction que sur l’instant même. Le bilan final est lourd : solitude absolue. Elle qui pensait que sa conscience était cuirassée réalise avec stupeur qu’elle s’était fourvoyée depuis le début. Certes, il ne restait plus la moindre trace physique de cette souffrance, mais qu’en est-il de la douleur imposée à l’âme. Cette âme si éméchée que seul le mépris pouvait satisfaire. Pourtant, la gynécologue plus connue comme une faiseuse d’anges va montrer des signes de faiblesse, lorsque sa réelle conscience se manifestera sans l’accord de son maître. Une conscience qui va finalement l’obliger à ne plus se voiler la face. Et comme par magie, l’espoir renaît de ses cendres, tout comme son rapport avec la vie. Elle a commencé sa carrière en mettant au monde un enfant et espère y mettre un terme de la même façon. Un comportement qui entraine une fissure dans sa tour d’ivoire et qui n’aura nulle autre conséquence que l’éruption des émotions refoulées durant toutes ces années.
Le but de l’auteur dans cet ouvrage n’est pas de susciter la pitié chez le lecteur (triste à dire mais difficile de ne pas prendre en pitié le personnage) mais plutôt de le préparer à vivre dans un monde très éloigné des contes de fées. Elle condamne les sociétés qui imposent un environnement et des normes sociales. La femme en est d’ailleurs l’une des premières victimes. Cependant, à travers les différents personnages, elle tient à nous montrer que pleurer sur son sort et en vouloir à la terre entière ne mène à rien sinon à la solitude.
Sa première patiente qui mit au monde l’enfant de son violeur et qui reconstruit tout de même sa vie, la prostituée qui voue un respect sans limite à sa maquerelle, le propriétaire qui élève son petit-fils comme son fils… Tous ces personnages qui malgré leurs vies misérables, acceptent de (se) donner une seconde chance.
Ce court roman qui regorge de sarcasmes et qui reflète la vision de l’auteur sur la société coréenne moderne -que l’on peut assimiler à toutes les sociétés- est en fait un moyen de nous interroger sur la place que l’on accorde dans nos vies à la dictature voilée que nous impose la société.
« Trois Jours en automne », Pak Wan-Seo. Roman traduit du coréen par Benjamin Joinau et Lee Jeong-soon.
Edité par l’Atelier des Cahiers.
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