
Longtemps considéré comme le cousin pauvre de son homologue japonais le manga, le manhwa (만화) est pourtant une partie considérable de l’émancipation coréenne lors de la colonisation japonaise. Depuis, le manhwa a évolué vers des scénarios beaucoup moins polémiques tout en opérant en parallèle un retour aux sources avec une mise en images de nombreux classiques d’origine chinoise.
Une genèse dans la souffrance de l’occupation étrangère
Pour comprendre l’évolution du manhwa, il convient de rappeler le contexte historique de la Corée lors de l’apparition de la première bande dessinée, intitulée Saphwa (삽화) du caricaturiste Lee Do-yeong, publiée dans le journal Daehanminbo (대한민보), que l’on peut traduire par « Le quotidien du peuple coréen ».
Après des siècles de domination chinoise et une fermeture des frontières coréennes sous la dynastie Chosun, l’ouverture de ces dernières a guidé le Japon, qui a annexé la péninsule en 1910, après 5 ans de protectorat. Cette période de protectorat, alors que le Japon n’édicte encore aucune loi sur le sol coréen, voit apparaître la caricature de Lee Do-yeong, qui met le doigt sur une perception typiquement coréenne de la tyrannie japonaise : représentés sous des traits simiesques, ils sont considérés comme malicieux et malhonnêtes. Ce sentiment anti-japonais va continuer à grandir jusqu’à la libération du pays, peu avant la Guerre de Corée.
Dès 1910, le Daehanminbo est arrêté et fait place à une presse pro-japonaise dirigée par le gouvernement en place. Les années suivantes voient la production de bande dessinée être très limitée, jusqu’au soulèvement du 1er mars 1919, lors duquel les funérailles du dernier roi de la dynastie Chosun sont réprimées par les forces japonaises. Le contrôle de la presse est ensuite amoindri, et l’on voit apparaître à nouveau des manhwa dès 1924. Cette nouvelle vague débute avec « Les vains efforts d’un idiot » (멍텅구리 헛물켜기, Meongt’eongguri heonmulk’yeogi) de No Su-hyung, alors publié dans le fraîchement créé Chosun Ilbo, depuis devenu le journal ayant la plus forte audience du pays. Le manhwa passe en quelques années d’une simple affiche de propagande moqueuse à une véritable volonté artistique et se dote de cases et de bulles, à l’instar de la bande dessinée occidentale. Il devient alors l’expression privilégiée du sentiment anti-japonais qui fait largement surface. Cette tendance à dénoncer le pouvoir en place ne disparaîtra jamais de l’ADN du manhwa, qui pointe encore du doigt les problèmes sociaux que rencontrent les personnages principaux.
Après une phase de création intrinsèquement lié au rejet de l’occupant, le manhwa voit sa popularité fluctuer peu avant la guerre de Corée. Pourtant, le premier magazine entièrement dédié au sujet, le Manhwa Haengjin (만화 행진) est édité dès 1948. Malheureusement, la censure en Corée est encore trop forte, et le magazine disparaît dès le numéro 2. Cette première création sera suivie par Manhwa News l’année suivante. Néanmoins, la Guerre de Corée gronde, et les deux adversaires décident d’utiliser le manhwa comme expression de son idéologie de chaque côté du 38° parallèle. Au Sud, on notera plus particulièrement Le Soldat Todori de Kim Yong-hwan, qui a vocation à exalter les soldats. En parallèle, les bandes dessinées pour enfants font leur apparition avec les ttakji manhwa (딱지 만화), revues au papier de très mauvaise qualité publiant des auteurs en herbe. Les manhwabang (만화방) commencent à être construits dès les années 1960, et permettent aux lecteurs avides d’histoires graphiques d’accéder à des mines d’or sans se ruiner.
Les années 1960 sont d’ailleurs la période à laquelle l’industrie du manhwa commence à se structurer pour devenir celle que l’’on connaît : maisons d’édition, éditeurs indépendants, revues multiples, volumes reliés…
Le premier dessin animé ne naîtra pour sa part que dans les années 1980, et sera consacré à Dooly le petit dinosaure (아기공룡 둘리). Le manga japonais, quant à lui, est introduit sur le marché coréen à la fin des années 1980, soit à la même période qu’en France ! Il va sans dire que le manhwa s’est construit avec un parcours radicalement différent de celui du manga, et cela influence fortement les thématiques et le style des ouvrages.
Types de manhwa : les publics sont-ils tous les mêmes ?
A l’instar de la mode japonaise, il existe des manhwa pour tous les âges et tous les goûts :
Le sonyung manhwa (소녕 만화) vise un public adolescent masculin ; les titres phares en sont Chonchu, Priest, Ragnarök, Yureka ou encore Witch Hunter. Son pendant est le sunjeong manhwa (순정 만화), manhwa pour adolescentes, qui se retrouve souvent adapté en drama tels que Goong. En parallèle, le manga pour jeune adulte tchungyun 중년, plus sérieux, traite souvent de personnages historiques ou de légendes coréennes (Shin Angyo Onshi, The Bride of the Water God…)
En France, on trouve actuellement peu de maisons d’édition spécialisées dans le manhwa. Les maisons phares qu’étaient Saphira et Tokebi ont fermé malgré le lancement de séries très populaires en Corée (Full House, Daddy Long Legs, Chonchu, Priest), et les manhwa édités de nos jours le sont le plus souvent par des maisons d’édition de manga (Kana, Asuka, Pika Edition, Ki-oon). Bien que le public occidental peine à adopter le manhwa, les adaptations en drama de ceux-ci arrivent à toucher une audience peu sensible. Les succès indiscutables de Full House ou de Goong en sont la preuve la plus tangible.
Alors que les manhwa sur mobile ont fait leur apparition il y a déjà plusieurs années en Corée, les lecteurs français doivent encore prendre le pli, ce nouveau mode de lecture changeant radicalement la rédaction, qui se lit désormais à la verticale via des panels donnant la part belle au graphisme.
Crédits photo :
Goong © Park SoHee / Seoul Cultural Publishers, Inc.
Saphwa (c) Lambiek.net
Full House (c) nautiljon.com
2 Commentaires
Comme le manga japonais et le manhua chinois, le manhwa est fortement influencé par l’art classique asiatique et plus particulièrement chinois. Les gravures anciennes (xylographie) du Xe siècle, très perfectionnées, servaient à diffuser les canons bouddhiques dans la population.
Bonsoir David,
Il est vrai que le manhwa a énormément hérité de la tradition artistique d’Asie de l’Est, avant tout tirée par la Chine et ses pays tributaires. Merci pour ce commentaire qui complète bien l’article !