
Voici le roman « Le garçon arrive », dernier ouvrage de l’écrivaine sud-coréenne Han Kang (한강), publié en 2014 en Corée du Sud et dont la publication française est prévue prochainement. Deux des œuvres de Han Kang sont actuellement disponibles en français : la nouvelle « Les chiens au soleil couchant » (해질녘에 개들은 어떤기분일까, 1999) publiée aux éditions Zulma en 2011 dans « Cocktail sugar et autres nouvelles de Corée », et le roman « La végétarienne » (식주의자, 2007) publié cette année chez Broché. « La végétarienne » a été adaptée au cinéma par Lim Woo Seung (임우성 감독), le film sorti en 2010 a connu un grand succès auprès des critiques du Festival International du Film de Busan, et a été projeté en compétition au Festival du Film de Sundance.
Nous vous proposons cette critique littéraire publiée chez Hankyoreh (한겨레), un quotidien sud-coréen, et rédigé par le journaliste Choe Jae Bong (최재봉 기자).
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5.18, Que devons-nous faire pour n’être rien ?
Han Kang, l’auteure de l’ouvrage « Le garçon arrive » (소년이 온다), une nouvelle qui évoque le soulèvement de Gwangju dans un style poétique particulier, nous a confié :
« Pendant que j’écrivais, non, dès que j’ai commencé mes recherches pour écrire ce roman, il ne s’est pas passé un seul jour sans que je pleure. ».
(ndlr. Photo et remarques du journaliste Kim Jeong Hyo 김정효 기자.)
« Le garçon arrive » <소년이 온다>
« Le garçon arrive » de Han Kang est un roman de plus de 700 pages dont la lecture vous tient en haleine. Ceci est dû à deux raisons en particulier : le style d’écriture poétique et concis propre à l’auteure, qui demande toute l’attention du lecteur, et la façon dont Han Kang transmet aux lecteurs la gravité des évènements de Gwangju en mai 1980. La lecture de cette œuvre ne prend pas fin à la dernière page. Cette histoire bouleversante revient régulièrement hanter chaque aspect de votre vie, et la nuit venue, elle est source de cauchemars. Si vous pensez être trop sensible pour affronter le poids de cette histoire et les cauchemars d’une nuit, ce livre n’est peut-être pas pour vous.
La mort de Dongho (동호), garçon âgé de 16 ans, est au cœur de cette histoire. Le collégien, resté à l’hôtel de région jusqu’à la fin, a péri sous les coups de feu des soldats. Le roman se termine par un épilogue de 7 pages, dont une où l’auteure interpelle directement Dongho en le tutoyant. Au fil des pages du roman, le point de vue de narration et le narrateur varient, la mort du garçon et l’impact de cette dernière sont abordés de différentes manières à plusieurs reprises. Dongho apparaît à la première page en train d’aider à récupérer les corps à l’hôtel de région, à la deuxième page l’âme de son ami décédé Jeongdae, qui s’exprime à la première personne de manière non formelle, nous confirme la mort de Dongho. C’est comme ça que, d’une page à l’autre, l’auteure se déplace dans le temps à sa guise. Dans l’épilogue, Han Kang évoque également son histoire personnelle.
« Après ta mort il n’y a pas eu de funérailles, ma vie est devenu des funérailles. / Après que les éboueurs t’aient emporté, enveloppé d’une couverture, / Après que la fontaine se soit remise à couler, et que l’eau méprisable scintillait. / La lumière de tous les temples étincelait. / Au cœur des fleurs de printemps, au cœur des flocons de neige. Au cœur du crépuscule. Dans chaque bouteille vide, tu as planté la lueur des bougies. »
La question qu’on se pose est : « Somme-nous des animaux ? »
Les tragédies de Yongsan et du Sewol nous renvoient dans le passé
Eun-sook, alors lycéenne d’un établissement pour filles, qui avait aidé Dongho à récupérer les corps, travaille comme éditrice dans une maison d’édition après avoir quitté l’Université (où elle avait été acceptée de justesse) faute d’avoir pu s’y habituer. La citation qui précède est un passage tiré d’un roman et d’une pièce de théâtre que la censure ne lui a pas permis de publier et qui lui rappelle la mort de Dongho. Les questions suivantes se posent également dans ces œuvres :
« Les Hommes, que sommes-nous ? Que devons-nous faire pour n’être rien ? »
Ces questions, posées au milieu du livre, donnent son essence à ce dernier. Cette œuvre n’a pas pour seul objectif de relater les évènements qui ont eu lieu Gwangju il y a 34 ans, elle vise également à s’interroger sur les leçons que nous pouvons en tirer. La tragédie de Yongsan en janvier 2009 nous rappelle notamment la validité intemporelle de cette question. L’histoire s’est répétée à Yongsan.
« Gwangju était synonyme d’une chose sans défense, piétinée par la force, mutilée, une chose qui n’aurait pas dû être détruite. L’onde de choc des évènements perdure. Gwangju relevée, n’en demeurait pas moins morte. Infectée et pulvérisée, elle a été reconstruite dans une mare de sang. »
Le naufrage du Sewol, tout en étant différent de ces deux tragédies, nous confronte à une question tout aussi pressante et douloureuse. Et nous interroge : Sommes-nous des animaux ? L’être humain est-il fondamentalement cruel ? Si vous souhaitez fuir le poids de cette histoire, les cauchemars d’une nuit et ces questions difficiles, alors il vaudrait mieux pour vous ne pas lire ce livre. Mais même si vous ne le lisez pas, les cauchemars deviendront un jour réalité et on ne peut pas leur échapper. Gwangju, Yongsan et le Sewol nous en ont donné la preuve.
« Maintenant, je veux que tu me guides. Je veux que tu m’emmènes vers la clarté, là où la lumière brille, là où les fleurs s’épanouissent. »
Ces dernières phrases du roman sont les paroles que l’écrivaine échange directement avec l’esprit de Dongho. Ces paroles, ainsi que celles de Dongho pour l’écrivaine, et par extension celles des victimes du soulèvement de Gwangju qui nous implorent, méritent qu’on leur prête toute notre attention.
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Traduction de l’article du journal Hankyoreh, 25 mai 2014 : http://www.hani.co.kr/arti/culture/book/638900.html
Traduction réalisée par Lucille Cosgrave
2 Commentaires
Je ne connaissais pas cette auteure mais ce roman, bien qu’il paraisse lourd émotionnellement et que je sois très sensible, j’ai vraiment envie de le lire. L’histoire me touche et le fait qu’elle relate des faits réels me touche encore plus. Merci pour cette découverte
Merci beaucoup Cécile ! Nous sommes heureux de partager cette découverte avec vous.