
Depuis quelques décennies, la Corée du Sud s’est hissée sur le podium des pays pratiquant le plus la chirurgie esthétique. Suite à la guerre de Corée, la transition vers la modernité a marqué un tournant majeur. A cette occasion, les pratiques sociales ont connu de profondes modifications. La chirurgie esthétique s’est développée, au point de devenir un acte banal, parfaitement intégré dans le quotidien des Coréens. Comment expliquer un tel essor depuis les années 1960 ? Quels en sont les enjeux ?
Le recours à la chirurgie esthétique est un phénomène récent, qui remonte aux années 1960. La première clinique consacrée à cette pratique a vu le jour en Corée du Sud en 1961. Au cours des années 1970, l’influence de la culture américaine et l’essor économique de la Corée du Sud ont contribué à une meilleure acceptation de cette pratique dans la société. Avec une vague d’occidentalisation, les années 1990 marquent l’apparition d’une nouvelle génération de consommateurs. Vers l’an 2000, la mondialisation a changé la donne et a introduit la compétitivité, tant sur le plan personnel, en contribuant à l’individualisme, que sur le plan national. En cinquante ans, la médecine a connu un développement poussé, sous le signe de la modernité et dans une logique d’industrialisation. Le symbole le plus flagrant de ce basculement est le quartier de Gangnam. A lui seul, il concentre environ 70% des cliniques de Corée du Sud. Il en résulte l’émergence d’un canon esthétique emprunt de stéréotypes. En 2012, le dessinateur Mind C (마인드 C) a critiqué cet aspect en reprenant une peinture de Shin Yun-bok (신윤복), célèbre peintre de la dynastie Joseon aussi connu sous le nom de Hyewon.
Visible sur la droite, l’oeuvre initiale s’intitule “Portrait d’une beauté” (미인도). Elle représente l’idéal de beauté durant la période Joseon, montrant une femme vêtue d’un hanbok. A gauche, la satire de Mind C se nomme “Portrait of a Gangnam beauty” (강남 미인도). Certains éléments sont similaires tels que le style vestimentaire ou la coiffure. Cependant, dans le dessin de 2012, le dessinateur illustre les préoccupations actuelles, à savoir l’attrait pour les produits de luxe et les cosmétiques. La femme, aux pommettes rosées, est présentée avec des objets d’une célèbre marque française : des escarpins, une paire de lunettes de soleil et un sac à main porté au creux du bras. Ces détails ne sont pas anodins et témoignent de l’essor de l’industrie du luxe, parallèlement au développement de la chirurgie esthétique.
Son essor représente un véritable paradoxe au regard de la pensée confucéenne. Dans le Classique de la piété filiale, Confucius met en avant la nécessité de préserver son corps de toute modification. La conservation de son intégrité demeure la pierre de touche des réflexions sur le corps dans les sociétés d’Asie du Nord-Est. Le décalage entre cet état d’esprit et les pratiques contemporaines s’explique en considérant la société actuelle. Le recours à la chirurgie s’apparente à un rite d’entrée dans la vie sociale mais il s’agit aussi d’un moyen de survivance dans une société de plus en plus compétitive. Auparavant, la chirurgie s’adressait uniquement aux classes sociales aisées en raison de son coût élevé. De ce fait, le recours à la chirurgie esthétique pouvait s’identifier à la manifestation d’un certain statut social. Cependant, à la faveur d’un développement économique rapide, les classes moyennes sont devenues bien plus nombreuses. Inquiétées par la perspective de perdre leur statut, les classes moyennes tentent d’imiter les classes supérieures. Ainsi, la pratique de la chirurgie esthétique est devenue un phénomène de masse. Dorénavant, elle est beaucoup plus accessible, considérée comme courante et ancrée dans la culture. Il est fréquent de voir des parents offrir un débridage à leur enfant lorsqu’il entre à l’université. Selon le type d’opération, les conditions ne sont pas les mêmes. Certaines peuvent être réalisées en dehors des cliniques, dans des lieux non spécialisés tels que les spas, en proposant des interventions basiques.
Bien que les Etats-Unis fassent un plus grand nombre d’interventions, le Corée du Sud caracole en tête si l’on envisage les chiffres au prorata de la population. D’une part, les statistiques générales tendent à sous-évaluer le nombre d’opérations. D’autre part, ces statistiques de l’hebdomadaire The Economist fondées sur les données de l’International Society of Aesthetic Plastic Surgery ne font pas état des personnes venues de l’étranger. L’hégémonie coréenne en matière de chirurgie esthétique a contribué à une nouvelle logique touristique. Les nombreuses migrations à échelle régionale soulignent l’intérêt que suscite la Corée du Sud sur ce marché. La Chine, par sa proximité, figure parmi les pays les plus intéressés, à l’image des expositions organisées chaque année autour de la médecine ou de la beauté. Les nouvelles élites chinoises participent à ce tourisme médical. Des certificats d’identité sont délivrés par les autorités auprès des personnes ayant subi des opérations. Cette initiative s’explique par le fait que les individus deviennent méconnaissables au regard de leur ancienne apparence. Ces transformations “extrêmes” posent problème lorsque les patients retournent dans leur pays. L’image suivante a notamment fait beaucoup parler d’elle sur les blogs et dans la presse.
Cette jeune chinoise est allée en 2009 en Corée du Sud pour se faire opérer. On croirait voir deux personnes différentes et il s’agit pourtant de la même. La chirurgie du visage est la plus pratiquée. La blépharoplastie et la rhinoplastie, respectivement chirurgie des paupières et du nez, sont parmi les plus répandues. Cependant, elles représentent une tradition ancienne, presque vieille école. La nouvelle tendance, formulée par une génération de chirurgiens plus jeunes, est à la chirurgie de la mâchoire. D’autres parties du corps, telles que les genoux ou les mollets, peuvent être concernées par des actes chirurgicaux. La liposuccion rencontre également un franc succès.
Alors que le recours à la chirurgie esthétique est devenu banal, les enjeux qu’il soulève sont éthiques et sociaux. On constate une persistance des inégalités entre les genres. La volonté de respecter les canons de beauté, dictés par les références visibles supportées par le hallyu mais aussi par une possible influence “occidentale”, incite les individus à céder à cette tendance. Dans une société libérale, censée faire la part belle à l’individu, la place qu’occupe l’individualité est mise en danger par le respect de normes qui tendent à l’uniformisation.
Crédits photos: ©The Economist, ©The Daily Mail.
3 Commentaires
Très intéressant l’article sur la chirurgie esthétique et surtout insolite. Ne colle pas vraiment avec l’image que l’on a en Occident des asiatiques.
Les hommes sont-ils également concernés, notamment lorsque les parents offrent la chirurgie à leur enfant pour leurs études ?
Bonjour moi je suis en Afrique précisément au BÉNIN mais j’aimerais venir en Corée apprendre l’esthétique
[…] de l’artifice ultime qu’est la chirurgie plastique. La Corée du Sud est le pays qui comporte le taux le plus important de chirurgie esthétique par habitant et une femme coréenne sur cinq y a recours. La chirurgie est même devenue un investissement de […]