
Le 3 août 2012, à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, je rencontre Frédéric de CAPCOREE, juste avant son départ pour 5 semaines en Corée du Sud pour le début des 100 français en Corée du sud. A Séoul bien sûr, mais aussi à Gwangyang et à Pusan pour voir sa famille coréenne. Frédéric est français d’origine coréenne. Adopté à l’âge de 5 ans avec son petit frère.
Mon premier voyage en Corée remonte à 8 ans. C’était un voyage que j’ai partagé avec mes parents adoptifs. Mes parents voulaient aussi découvrir le pays. Aujourd’hui, j’y vais régulièrement. C’est devenu un besoin parce que ça fait partie de de mon identité. Je suis à la fois français et coréen. On peut nous décrire comme une banane : jaune de l’extérieur et blanc de l’intérieur.
Comment se passe l’intégration en Corée ?
A Séoul, il y a une grande communauté d’adoptés. Ça aide quand tu arrives à Séoul et que tu ne connais personne. Ça permet d’avoir tout de suite des contacts. Je suis resté pendant deux ou trois mois avec des adoptés. Après, je suis allé plus vers les coréens, pour découvrir la culture et pouvoir apprendre le coréen.
Tu parlais déjà coréen la première fois que tu es arrivé en Corée ?
Non, pas du tout. Je parlais deux trois mots. C’est pourquoi je suis allée à la fac en Corée pour le réapprendre. Mon premier objectif était vraiment de découvrir la culture coréenne et de faire des recherches sur ma famille biologique.
Comment se sont passées les recherches ?
J’ai contacté deux associations coréennes. L’inKAS, une agence gouvernementale, et GOA’L qui est une association créée par des adoptés. L’association est très bien car ils sont tous adoptés et ça aide.
Grâce à GOA’L, j’ai fait une émission qui s’appelle 그 사람이 보고싶다. C’est une émission qui aide à la fois les adoptés et les coréens à retrouver leur famille. Pendant l’émission, tu expliques ton histoire. Des personnes peuvent contacter l’émission pour donner des informations si ce sont des proches ou des connaissances. Quand on pense avoir retrouvé une personne, on fait un test ADN. Si le test est positif, on se rencontre en direct à la télévision. J’ai eu la chance d’avoir retrouvé ma mère par ce biais-là.
Ce qui était marrant dans cette émission, c’est que, quand j’ai retrouvé ma mère, elle se souvenait de moi, mais moi, je ne me souvenais de rien car j’étais très jeune. En fait les sentiments, tu ne les as plus. Tu ne connais pas ta famille, mais ta famille se souvient de toi. Ce décalage de sentiments est à la fois intriguant et difficile. Quand j’ai retrouvé ma mère, elle est arrivée en pleurs et m’a serré dans ses bras. Je l’ai prise dans mes bras aussi, mais je ne savais pas comment réagir. C’était un sentiment étrange car tu ne connais pas la personne, elle est complètement inconnue. Mais c’est ta mère biologique. Finalement, tu n’as pas ce côté amour que tu as avec tes parents adoptifs. Ma mère biologique était simplement une étrangère.
Comment a évolué votre relation ?
Quand j’ai retrouvé ma mère, nous avons discuté pendant plusieurs heures, avec une traductrice car je ne parlais pas coréen. En discutant, j’ai appris que j’avais une grande sœur, dont je ne me souvenais pas. Ma sœur n’a pas grandi avec ma mère. Avec ma sœur, ça a été compliqué au début. Quand on l’a appelé, elle a raccroché avant de nous rappeler. Ça a été un choc pour elle.
Donc cette année-là, en 2008, j’ai retrouvé une mère et une sœur, des neveux. J’ai retrouvé une famille coréenne, mais aussi redécouvert ma culture coréenne. Ça a vraiment été une expérience incroyable. D’autant que je m’étais fait à l’idée que je n’allais sûrement pas retrouver ma famille. Pour moi le plus important était d’aller jusqu’au bout des démarches afin de tourner la page de mon passé et aller de l’avant.
Mais quand-même, j’ai eu beaucoup de chance car très peu d’adoptés retrouvent leur famille. J’ai rencontré aussi beaucoup d’adoptés qui ont eu une très mauvaise expérience. Par exemple, certains ont été rejetés par leur famille adoptive. Ils arrivent donc en Corée en espérant retrouver une nouvelle famille mais ils sont à nouveau rejetés. Ce sentiment doit être très difficile à vivre. Personne ne devrait vivre ce type d’expérience.
Il n’y a pas que des bonnes expériences. Et ça, on en parle par assez.
Et dans ton cas, ta mère a pu t’expliquer ce qui s’était passé ?
Oui. Enfin c’est un peu compliqué car j’ai deux versions. Celle de ma mère, plutôt enjolivée, et celle de ma sœur. La vraie histoire serait que ma mère nous a confié à mon grand-père qui, lui, nous aurait abandonné dans un orphelinat. Ma sœur avait été confiée à une famille coréenne. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à l’époque, une femme avec des enfants ne pouvait pas se remarier. Mon père est décédé dans une mine de charbon suite à un grave accident.
Au final, je crois un peu plus à la vérité de ma sœur car ma mère adoucit l’histoire et des doutes persistent. Du coup, ma relation actuelle est meilleure avec ma sœur qu’avec ma mère. En plus, en très peu de temps, l’amour fraternel s’est restauré.
Et ton frère ? Comment a-t-il vécu ces retrouvailles ?
Mon frère a un parcours complètement différent du mien. Moi j’ai beaucoup voyagé à travers le monde. J’étais plutôt un grand baroudeur. Mon frère est quelqu’un de plus casanier. Et puis, comme il était plus petit, il a beaucoup moins de souvenirs que moi. C’est mes souvenirs qui m’ont poussé à faire ces démarches car j’avais besoin de savoir si c’était vrai ou simplement de l’imaginaire. Quand tu es adopté, tu ne peux pas demander à tes parents si tes souvenirs d’enfance sont vrai ou pas.
Quels types de souvenirs ?
Des souvenirs de lieux, d’odeurs, ce genres de choses. J’ai toujours eu des doutes sur ces souvenirs. Quand tu es enfant, tu t’inventes un monde. J’avais besoin d’acter mes souvenirs et de savoir si c’était vraiment la réalité ou juste des rêves d’enfants. Le fait de retourner en Corée m’a permis de valider mon passé et de tourner la page.
Mon frère n’a pas vraiment de souvenirs. Ce n’était donc pas forcément important pour lui. Mais il était quand-même très heureux quand j’ai retrouvé notre famille.
Quel est le souvenir le plus marquant de ton premier retour en Corée ?
Un des grands souvenirs que j’ai, c’est l’odeur de la nourriture. Je marchais avec mes parents adoptifs à Seoraksan et j’ai senti l’odeur du ver à soie grillé. C’est une odeur très particulière, très forte. En la sentant, je savais que je connaissais. Les coréens mangent ces vers quand ils marchent car c’est plein de protéines.
Mais mon tout premier souvenir, c’est bizarre, mais c’est le fait de m’être sentis comme les coréens. C’est-à-dire que tu sais que tu es différent, que tu parles français, mais tu ressembles à un coréen. M’être sentis coréen, c’était aussi me sentir différent. Le premier contact que j’ai eu avec un coréen était assez déstabilisant. J’étais dans la rue, et quelqu’un m’a parlé en coréen comme si de rien n’était. Ça m’a fait plaisir sur le moment car j’étais comme eux, sans différences. Mais comme je n’ai pas compris ce qu’il m’a dit, j’ai dû à nouveau confronter à cette différence qu’on n’est pas entièrement coréen et entièrement français.
Et aujourd’hui, comment arrives-tu à gérer ces deux cultures ?
Aujourd’hui, j’accepte d’avoir cette culture mixte. Je me confonds peut-être même mieux en Corée maintenant car je parle coréen et je connais beaucoup mieux la culture du pays. Cela me permet de m’intégrer plus facilement à la société coréenne. Du coup, je me sens chez moi là-bas. En France aussi, mais la différence est plus visible puisqu’elle est physique.
Je suppose que Capcorée t’aide aussi à faire le lien entre les deux pays. Comment a commencé l’aventure ?
Quand je suis parti en Corée, j’ai rencontré Sami, mon associé, à l’Université de Kyeong ki. On a tout de suite sympathisé. En fait, on a fait les 400 coups à Séoul. Et puis je suis retourné en France et Sami est resté à Séoul. Je retourne en Corée tous les ans, et quand j’ai revu Sami, on a parlé de projets et de notre passion commune pour la Corée. L’idée du voyage s’est imposée à nous très naturellement. J’ai beaucoup voyagé en Corée et je connais bien les lieux. Sami lui est plus porté sur le marketing et la communication. Alors, on s’est serrés la main comme en France il y a 50 ans et on a lancé le projet CapCorée.
Le fait que lui soit en Corée et moi en France permet de créer le lien et d’être efficace professionnellement. Le contact est direct à la fois en France et en Corée.
Et puis, on a lancé un concept sans guide, où les gens sont libres tout en étant en sécurité car notre présence est permanente 24/24 et 7/7. Tous nos voyages sont du sur mesure. Avec notre système de voyage (road book – transport book), ils se débrouillent seuls et sans problème. C’est marrant parce que c’est un peu le même système que dans Pekin Express. On donne à nos voyageurs des petites cartes en coréen afin de faciliter leur voyage et les aider lorsqu’ils sont perdus. Par exemple, ils montrent cette carte et le taxi les emmène directement à l’hôtel. On est les seuls à faire ça. La sécurité est notre priorité.
Et cette année, vous avez lancé le Pack Hallyu pour l’été 2012.
Ce pack est surtout destiné aux passionnés de k-pop et les activités liés à l’ hallyu. Mais on mélange toujours la partie k-pop/dramas et traditions. Car la Corée n’est pas que le hallyu. Par exemple, nous allons faire un séjour au temple où l’on vit au rythme des moines bouddhistes. On se couche tôt, on se lève à 3h, on mange végétarien.
La tranche d’âge de nos voyageurs se situe principalement entre 18 et 25 ans. Mais il y a des exceptions avec des personnes de 40-45 ans. Nous avons aussi des familles qui accompagnent leur enfant mineur. Les voyageurs du pack hallyu connaissent la Corée majoritairement par le biais de la k-pop et les dramas.
L’année prochaine, on espère faire venir 300 personnes. Les pré-inscriptions commenceront fin septembre / début octobre.
Et la culture moderne, hors kpop ?
La Corée évolue très rapidement. Sa culture moderne est donc très changeante. L’occidentalisation est importante et, à mon avis, néfaste car l’identité coréenne s’occidentalise. Il est important de savoir d’où l’on vient pour créer le futur.
Ce n’est donc pas évident pour les occidentaux de s’y retrouver. Comment vois-tu l’évolution des relations franco-coréennes ?
Les relations franco-coréennes existent depuis très longtemps ; c’est même dans l’histoire. Je dirais simplement que la relation ne peut que progresser.
Au niveau des voyages en Corée, il y en aura de plus en plus. L’hallyu prend de l’ampleur et le marché se développe beaucoup pour les français. Les échanges commerciaux sont aussi plus importants. Les nouvelles générations vont en Corée pour la kpop et finissent par s’intéresser au côté traditionnel. Et la Corée attire après le japon et la chine. Ça va devenir à mon avis la future grande destination de l’Asie.
Est-ce que tu penses que la forte occidentalisation de la Corée est un avantage ?
C’est plutôt la forte américanisation, et surtout dans les grandes villes. Elles se développent à une vitesse incroyable mais la campagne est restée très traditionnelle. Quand on organise des tours en extérieur, on peut voir des choses qui n’ont pas bougé depuis 50 ans. C’est ça qui est génial aussi en Corée, ce mélange de tradition et de modernité. C’est ce qui fait sa richesse, sa force et sa contradiction.
Comment vois-tu évoluer la perception du pays par les voyageurs français ?
Pour la plupart, ils sont très surpris. Ils ne s’imaginent pas forcément que la Corée est un pays aussi développé. Leur surprise est très forte en arrivant à Séoul. Mais ils repartent toujours très contents et ils veulent y retourner. Dans tous les cas ils reviennent.
Aujourd’hui, la France méconnait la Corée. Quand des français arrivent là-bas, ils découvrent absolument tout. La culture, les gens, la nourriture. Il y a peu de gens qui se lèvent un matin et se disent qu’ils vont aller en Corée. Généralement, ils y vont parce qu’ils sont déjà partis en Chine ou au Japon, voire les deux ou qu’ils sont passionnés.
Du coup, penses-tu que l’image que l’on donne en France de la Corée à travers les reportages est fidèle à la réalité ?
Pékin Express a donné une vision plus ciblée sur l’arrière pays. La montagne, l’accueil des gens etc. et c’est très positif. Jusqu’à présent, les reportages qui étaient fait notamment sur la kpop n’étaient pas forcément très positifs. Mais les reportages actuels sont meilleurs et donne une meilleur image..
Aujourd’hui, le gouvernement coréen utilise la kpop pour faire sa promotion. Que l’on soit d’accord ou pas, cela reste un bon moyen d’aller vers les gens (comme la Japon avec les mangas). Mais la promotion de la Corée en général en France reste encore trop limitée. Ce n’est pas suffisant pour que les gens aient envie d’aller là-bas contrairement au Japon par exemple. La Japon aujourd’hui fait rêver. La Corée ne fait pas encore rêver auprès du grand public. Ça fait rêver les personnes qui connaissent la Corée.
Pour l’équipe de La Corée à Paris, la Corée offre chaque jour de merveilleuses découvertes. Et toi, ta Corée, c’est quoi ?
Ma Corée ? C’est ma nouvelle identité, mon nouveau pays. C’est également mon deuxième chez moi. Je m’y sens bien. Ça fait simplement partie de mon identité.
1 Commentaire
Super interview ! Merci.