
Zanybros est une entreprise sud-coréenne de production vidéo, spécialisée dans les clips musicaux et publicités. Rencontre avec ses créateurs.
En 1992, les débuts du groupe Seo Taeji & Boys marque un tournant pour la musique sud-coréenne. Les maisons de production se multiplient et c’est le lancement des premiers Boys Bands et Girls Bands. L’ère k-pop est lancée. Mais pour conquérir les marchés étrangers, la stratégie des majors est parfaitement calculée. La recette du succès résulte d’un mix d’ingrédients nécessaires à l’industrialisation de la K-Pop comme : des entraînements et auditions longues et douloureuses, un contrôle de l’image, des chansons au refrain répétitif avec des sonorités occidentalisées (souvent adaptées en anglais, chinois et japonais), des collaborations étrangères, des chorégraphies répétitives mais aussi travaillées, une méthode de commercialisation nouvelle génération et surtout l’utilisation intensive des nouveaux médias web (YouTube, réseaux sociaux). Ce dernier a été méticuleusement exploité par le biais des clips musicaux (MV= Music Video). Le clip musical permet, à lui tout seul, de réunir les ingrédients du succès k-pop : artiste, chanson, chorégraphie, concept, beauté etc… Mais pour faire un clip musical, il faut des sociétés spécialisées.
En 2001, deux jeunes amis diplômés décident de créer leur propre société spécialisée dans la production de clips musicaux : Zanybros. Le nom de l’entreprise vient de l’association de « stupid » et « crazy brothers » qui caractérisent les 2 fondateurs. Débutant par des MV de k-indie (musique indépendante coréenne), Zanybros surfe sur la vague k-pop et devient un pionnier de cette industrie avec plus de 800 MV à leur actif et de multiples Awards. Leader sur le marché de la production de MV, beaucoup de labels k-pop (tels que SM Entertainement, JYP Entertainement, Cube Entertainement, TS Entertainment etc.) leurs confient leurs projets pour assurer la réussite de leurs artistes K-Pop.
Corée Magazine (CM). Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Kim JunHong (KJH). C’est en 1994 dans la section « Broadcasting & Entertainment » de l’université Seoul Institute Of Arts à Namsan que j’ai rencontré Hong WonKi (HWK). Notre collaboration s’est faite tout naturellement au travers de la réalisation d’un projet de fin d’études. Etant tous les deux fans de clips musicaux (MV) et de rock, nous avons réalisé un MV pour un groupe de rock indépendant à Hongdae, et tout cela sans budget. De projet en projet, nous avons commencé à nous faire un nom dans le milieu. C’est ainsi qu’on nous surnomma « les rois de Hongdae » (rire).
CM. Intéressant de voir que paradoxalement, vous êtes nés du Rock pour finir dans la K-Pop principalement. Quels sont vos artistes de rock préférés ?
KJH. Il y en a beaucoup mais j’aime écouter le groupe de rock coréen Lazy Bone, surtout leur 1er album « Do it Yourself », mais aussi No Brain.
HWK. Il y a aussi le groupe PIA, ou encore Nell. D’ailleurs, nous avons eu l’occasion de créer un MV pour Nell « Good Night ». Et le meilleur reste tout de même Seo Taiji.
CM. Après 14 ans d’existence, Zanybros est réputé dans le milieu de la production audiovisuelle Hallyu. Comment est né le concept de ZanyBros ? Comment avez-vous finalement atterri dans la création de MV K-Pop ?
KJH. Au-delà de notre passion pour les MV et notre créativité, nous avons eu beaucoup de chance. Notre percée dans ce milieu, nous la devons au célèbre artiste Seo Taiji ! Ce dernier cherchait de nouvelles personnes pour réaliser son MV « Moai ». De bouche à oreille, il a entendu parler des « Rois de Hongdae ». Et c’est ainsi que nous avons été présenté. Le courant est plutôt bien passé entre nous. Vous savez la plupart des dirigeants de l’industrie musicale coréenne sont des fans de Seo Taiji. Ils ont grandi avec lui. Grâce à sa notoriété et après la réalisation de son MV, nous avons réalisé d’autres MV comme Epik High « ONE » ou encore pour des groupes de K-Pop (4Minutes, Secret, BAP etc.). C’est ainsi que nous avons atterri dans ce milieu.
CM. Seo Taiji est un artiste de renommé ! Comment la collaboration s’est-elle passée ?
KJH. Seo Taiji est une personne très pointilleuse. Après la réalisation de son MV pour sa chanson « Moai », je me souviendrai toujours de ses mots : « J’ai trouvé enfin les bonnes personnes que je cherchais depuis longtemps ». Et depuis, nous continuons à travailler pour lui. En plus de la réalisation de ses MV, Seo Taiji nous a demandé de filmer son concert et de créer tout le graphisme de son concert. C’est un ami de Zanybros !
CM. Vous avez plus de 800 MV à votre portfolio, combien d’employés gérez-vous ?
KJH. Je dirais environ 40 personnes repartis dans les activités suivantes : la conception, l’écriture, la scénarisation, la réalisation, la mise en scène et technique, la production, la post-production et la direction. Avec l’évolution croissante de la K-Pop, nous continuons à recruter.
CM. Impressionnant de voir toutes les activités que requiert la création d’un MV. Mais pour les non-connaisseurs, pouvez-vous nous détailler les différentes étapes ?
KJH. Globalement la réalisation d’un MV K-Pop utilise le même process que la réalisation d’une publicité avec quelques légères subtilités. Tout d’abord, nous écoutons la chanson pour nous faire une idée de l’ambiance et ainsi monter le concept. Après nous passons à l’étape de la pré-production pour concevoir précisément le clip et le planifier : création du storyboard, sélection du lieu du tournage, le décor, les acteurs, les costumes, etc. Arrive ensuite le tournage, pour finir avec la post-production. C’est à ce moment-là que nous faisons l’assemblage : montage, étalonnage et le mixage du son. Et enfin pour clôturer tout ce travail, nous organisons une « bonne bouffe » !
HWK. La subtilité réside dans la danse. La chorégraphie est un axe majeur dans les MV de K-Pop, et plus particulièrement chez les groupes d’Idoles. De ce fait, lors de la pré-production, nous faisons plusieurs réunions pour s’assurer que la chorégraphie soit bien mise en avant et au bon moment. Vous pouvez le constater par vous-même, la danse est bien plus présente dans les MV coréens que les MV américains.
CM. En effet ! Un MV de K-Pop sans danse est difficilement concevable. Mais derrière cette industrie, les labels et concurrents sont nombreux. Qu’est-ce qui fait votre différence ?
KJH. C’est une très bonne question. Je suppose que les labels nous choisissent pour notre style très particulier qui se caractérise de trois façons. La 1ère réside dans la mise en avant de la beauté des artistes, la 2nde dans la mise en avant des chorégraphies et la 3ème par l’ambiance édulcorée.
HWK. Les MV réalisés par Zanybros sont facilement reconnaissables. Tous les MV du groupe Girls’ Generation (SNSD) sont conçus par Zanybros par exemple. Vous verrez qu’ils sont tous colorés et que nous mettons une emphase spécifique sur la beauté des artistes et de leur chorégraphie.
CM. Quel est le processus de sélection ? Les labels font-ils des appels d’offre ?
KJH. Le business se fait en approche direct. Il peut nous arriver de participer à des appels d’offre mais cela reste très rare. Comme dans tout secteur, le monde de l’Entertainment est un monde de connexions. La notoriété joue un rôle essentiel. Le résultat final du MV doit être à la fois réussit mais aussi être un succès commercial. L’adhésion du public doit être imminente pour assurer le succès du ou des artistes.
HWK. En effet, une fois que vous êtes sélectionné pour travailler avec un groupe, vous débutez et grandissez avec qu’eux. C’est comme une grande famille.
CM. En début d’interview, vous avez évoqué le mot « conception ». Comment concevez-vous les MV de K-Pop ?
KJH. Les groupes d’idoles naissent toujours autour d’un concept. Ce dernier évolue au fil du temps si la maison de production estime que cela est nécessaire. C’est ensuite à nous, Zanybros, de concevoir un concept qui s’emboîte à la leur. Lors de la conception du MV, nous écoutons la musique avec le groupe afin de faire un brainstorming avec les artistes. Nous proposons le concept mais il arrive aussi que les groupes émettent leurs idées. Dans la K-Pop, plus que la musique, le concept est primordial. Par exemple, si le concept du groupe est la scolarité, alors les tenues et les chorégraphies tourneront autour de cet univers. Par conséquent, nous nous baserons sur ce concept pour concevoir l’univers du MV en y ajoutant quelques subtilités propre à la chanson.
CM. On parle beaucoup de concept mais qu’est-ce qui vous inspire ?
KJH. Hum… la musique et les paroles. Le plus important reste quand même la musique et son rythme. Par exemple, si dans la musique, le son d’une trompette est présent à de multiples reprises, Zanybros incorporera une trompette dans le MV etc. Les équipes de Zanybros trouveront toujours le petit détail qui saura faire la différence d’un MV à un autre et d’un groupe à un autre ! Beaucoup de sociétés nous font confiance et nous laisse libre dans le choix du concept allant du début à la fin, y compris en passant par le costume !
HWK. Les « rookies » (artistes débutants) sont de plus en plus professionnels et entraînés, ce qui nous facilite beaucoup plus la tâche dans la rapidité d’exécution. Mais a contrario, la compétition entre eux est plus féroce et le concept requiert une attention plus particulière. De plus en plus, la chorégraphie est donnée en même temps que la musique. C’est ce qui nous permet de trouver le concept beaucoup plus rapidement. Par exemple, pour le boysband VIXX, la chorégraphie nous donnait déjà le concept et donc le fil conducteur de l’histoire. Il en était de même pour le boysband Up10Motion. Là encore, la chorégraphie nous a permis de visualiser un défilé de scène.
CM. On constate que la relation que vous entretenez avec vos clients, et donc les artistes, est forte. Combien de temps faut-il à Zanybros pour créer un MV ?
KJH. Vous serez étonné. Si nous réalisons le MV en Corée du Sud, il faut compter 2 semaines au total dont 2 jours de tournage. En cas d’intempéries, il faut compter un jour de tournage supplémentaire. Si nous filmons à l’étranger, cela prend un peu plus de temps, soit 1 mois au total dont 7 jours de tournage. Cela comprend le repérage des lieux, la validation des autorités locales, etc. Il est plus facile pour nous de filmer à Séoul car cela se passe généralement en studio. Dès lors que nous filmons en extérieur, Zanybros préfèrent partir à l’étranger car étonnement, cela peut s’avérer moins coûteux qu’en Corée du Sud. Néanmoins, nous sommes obligés de nous appuyer sur des sociétés de production locales pour aller plus vite (proposition de lieux, d’hébergement etc.)
HWK. Pour tous les concepts dont le paysage est un élément clé, les artistes préfèrent partir à l’étranger. Nous avons eu l’occasion de filmer un peu partout dans le monde comme les Etats- Unis (New York, Los Angeles), la Suède, l’Allemagne, la Suisse, le Royaume-Uni, la République Tchèque, l’Australie, le Chili mais aussi la France à Paris ! Par exemple, pour le MV de Taeyeon « I » (membre des SNSD) nous avons tourné en Nouvelle-Zélande et le tournage a duré 3 jours.
CM. Impressionnant ! Quel a été votre MV le plus court et le MV le plus long en termes de production ?
KJH. Le MV le plus court est de 5 jours. C’était pour la chanson « ONE » du groupe Epik High. Le MV le plus long nous a pris environ 2 mois. C’était pour la chanson « Moai » de Seo Taiji. Le MV a été réalisé en Island. Il a fallu compter 7 jours de tournage, 1 mois pour la pré-production et le reste pour la post-production.
CM. Dans un projet MV, quelles sont pour vous les périodes les plus difficiles et les périodes les plus réjouissantes ?
HWK. Le plus dur reste de trouver le concept. Zanybros doit trouver un concept original et différenciateur en un temps presque record. C’est le « Palli Palli concept » ! A ce moment-là, personne ne dort. C’est très intense. A l’international, les directeurs artistiques ont 2 à 3 mois pour penser au concept contrairement à la Corée du Sud. Ensuite, je dirais le tournage. Là aussi pendant les 2 jours de tournage, l’équipe ne dort pas. Par exemple, si un label nous remet la musique ce jour, Zanybros doit fournir le concept lendemain ou après-demain au plus tard. Lorsque nous remettons le produit fini au label, cela reste et restera le moment plus réjouissant !
CM. La Corée ne dort jamais ! Combien de personnes travaillent autour d’un MV ?
KJH. En fonction des différentes étapes, tous les employés sont actifs sur le MV. Pour la pré-production, il faut compter entre 5 et 10 personnes en fonction du concept. Ensuite pour le tournage, il faut compter entre 40 et 60 personnes. En fonction du projet et pour résorber les rushs, il nous arrive aussi de faire appel à des freelances pour la partie « Art Design » (décor etc.)
HWK. Cela fait beaucoup de monde à gérer. Mais comme Zanybros est une grande famille, tout le monde se sent concerné et impliqué dans le projet et peu importe la mission que va avoir la personne.
CM. Vu la rapidité d’exécution dont vous faites preuve et le nombre de personnes concernées, cela doit avoir un coût. Quel est le budget moyen d’un MV ?
KJH. Difficile de répondre à cette question (rires). Hum… il n’y a pas vraiment de montant minimum, dirons-nous. Mais le MV, c’est comme les voitures. Il y a la 2CV et la Rolls Royce. Et ce choix n’appartient qu’au donneur d’ordre, soit le label. Par exemple, le MV du girls band chinois SNH48 qui a été tourné à Prague a couté un peu plus de 500 000 $.
HWK. Voyant l’influence de la K-Pop dans le monde, nous recevons de plus en plus de demandes provenant des pays limitrophes. En l’occurrence, pour les SNH48, le label souhaitait se payer le service des coréens, donc les nôtres ! Toutefois, par amour, nous continuons à réaliser des MV pour de groupes de rock indépendant.
CM. Au fur et à mesure de l’interview, on constate que vous vivez une vie à deux cents à l’heure. Et le résultat est impressionnant. Zanybros connait un succès qui ne cesse de croître. Comment faites-vous pour gérer cette croissance ?
KJH. Comme l’évoquait tout à l’heure Hong WonKi (HWK), Zanybros, c’est une relation entre frères à la direction – donc nous deux (rire), et un esprit de famille dans la société. Au sein de Zanybros, il n’y a pas de système hiérarchique comme dans la plupart des entreprises coréennes ! Pour les nouveaux entrants dans la société, cela peut surprendre la 1ère fois mais on s’y habitue très vite. Il n’est pas rare d’entendre dans les couloirs « Oppa » ou « Nuna ». En utilisant cette méthode de management, on constate que les personnes sont plus à l’aise et libérées. La seule pression qu’ils ont reste et doit rester l’exécution de leurs tâches. Par ce biais, les employés restent plus longtemps dans la société et acceptent plus facilement les horaires de travail.
CM. En plus de la réalisation de MV, il semblerait que Zanybros se lance dans des projets transverses. Est-ce qu’il serait possible de nous en dire plus ?
KJH. Vous avez l’œil. En effet, Zanybros se lance dans de nouvelles aventures toujours en lien avec la Hallyu puisque, quelque part, c’est aussi notre cœur de métier. Tout d’abord, nous avions envie de tenter une expérience autour des concerts de K-Pop. Et pour se faire, nous allons collaborer avec la société Kinect Vibe (Ex-K-Pop Italia) pour la production des concerts européens du groupe B1A4. La tournée aura lieu en décembre 2015. La partie Live est quelque chose qui nous intéresse réellement et qui reste dans la continuité de notre métier premier. L’idée serait aussi de réaliser les lives pour des artistes internationaux qui se produiraient en Corée du Sud.
HWK. Le 2ème projet serait de créer une plateforme pour la Hallyu dont le but serait de fournir des contenus médias intégrant les nouvelles technologies pour les artistes étrangers.
KJH. Et le meilleur pour la fin, nous ouvrons prochainement le Zanybros Coffee. Ce sera un café design intégrant des personnages clés comme KakaoTalk ou Line.
CM. Visiblement les concepts ne manquent pas chez Zanybros ! (rire KJH et HWK) Parmi tous vos MV que vous avez pu réaliser au cours de toutes ces années. Quels sont vos MV préférés ?
KJH. AH je ne mettais encore jamais posé la question ! Je dirais peut-être Nell « Good Night », Epik High « One » et plus récemment Taeyeon « I »
HWK. Pour ma part, ce serait Hyuna « Bubble Pop » et SNH48 « Bitter & Sweet » qui a été filmé à Paris. C’est mon côté masculin qui surgit ! (rire)
Merci à Kim Jun Hong et Hong Won Ki pour leur bonne humeur, leur effort et leur disponibilité entre deux post-production de MV. Merci aussi à Angelica et Lucile de nous avoir permis de réaliser cette interview.
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Crédits photos : © Corée Magazine , © Zanybros
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