
Le dernier film du controversé Kim Ki-duk était diffusé à Londres en septembre. Récompensé par un Lion d’Or à la Mostra de Venise en 2012, ce nouvel opus questionne les relations familiales.
Le film s’ouvre sur un ouvrier en fauteuil roulant qui se pend à son établi. La scène suivante débute dans une zone industrielle défavorisée, où des ouvriers se retrouvent sans le sou suite au développement de grandes surfaces qualifiées. L’artisanat se perd, tandis que ces mêmes personnages doivent payer leur dû aux investisseurs mafieux auxquels ils ont emprunté de l’argent. Le protagoniste Lee Kang-do (이강도) apparaît très rapidement : loin d’un justicier venu négocier les remboursements au profit des ouvriers, on découvre un anti-héros d’une violence extrême, rattaché à une mafia locale et ne reculant ni devant les plaintes d’une femme, ni devant les larmes d’un ouvrier condamné. Au contraire, il tire un plaisir évident à frapper la femme avec son propre soutien-gorge, et à broyer la main du mari de cette dernière. A chaque nouveau personnage apparaissant à l’écran, on se demande si l’on va parvenir à regarder la torture infligée.
L’arrivée d’une femme entre deux âges, qui commence à suivre Lee Kang-do et l’observe en toutes circonstances, rebat les cartes : loin de limiter les accès de sauvagerie du « héros », cette nouvelle venue l’incite à repousser encore ses limites… jusqu’à ce qu’elle lui apprenne qu’elle est sa mère. Le film ne confirme à aucun moment la véracité de ce propos, qui importe peu. En revanche, ce moment charnière permet de développer les réflexions du protagoniste sur sa propre conduite. Après avoir fait passer des épreuves plus choquantes les unes que les autres à sa mère présumée, il accepte le fait que sa mère, qui l’a abandonné étant encore très jeune, souhaite lui apporter ce qu’il n’a jamais eu étant enfant.
Dès lors, la présence d’une attache dans sa vie le rend vulnérable et plus laxiste avec ses victimes. Le jeune ouvrier sur le point de devenir père se voit donc épargné : Lee concède à accorder à l’ouvrier sa requête de jouer une dernière fois l’air qu’il aurait voulu jouer à son enfant. Bien qu’il n’ait aucun talent évident à la guitare, la scène semble toucher Lee Kang-do, qui décide de ne pas l’handicaper pour lui permettre de jouer cet air. L’ouvrier, endetté, souhaite néanmoins obtenir de l’argent pour acheter « tout ce qu’il y a de mieux » à son enfant. Il prend donc l’initiative de réduire son propre bras en miettes pour toucher l’assurance dont il a besoin pour procéder à ses achats.
Pendant ce temps, la mère présumée de notre personnage principal commence à le torturer : elle lui annonce de but en blanc que son anniversaire approche, tout en tricotant de façon effrénée. Lee lui demande alors si le pull qu’elle tricote est un cadeau pour lui, ce qu’elle réfute sans sourciller. Le jour de la célébration, alors que Lee Kang-do s’apprête à retrouver sa mère pour partager un cadeau et souffler ses bougies, elle disparaît et ne revient que tard. Ce départ inopiné laisse croire à Lee qu’elle a été enlevée par les malfrats dont il s’est détaché dans le but de la protéger. Plus tard, elle l’appelle et simule un rapt. Très profondément attaché à cette mère qu’il n’a jamais connue, Lee se prend au jeu et part à sa recherche. On découvre alors que cette femme, Jang Mi-soon [장미순], a souhaité venger son fils, lui-même tombé aux mains de Kang-do plus tôt. Le film se termine sur une scène de mort étrange et repoussante, qui referme la boucle de la violence ouverte dès le début du film : les femmes victimes des exactions de Kang-do sont vengées sans pouvoir être considérées responsables.
Kim Ki-duk nous a habitués à des scènes de violence gratuite (suicide dans Samaria [사마리아], hameçons dans l’Ile [섬]…) ; il parvient néanmoins une fois encore à repousser l’horreur lors d’une scène édifiante de viol incestueux, où le personnage principal confirme son absence de sens moral. Si le thème de la violence gratuite est central, un deuxième sujet sous-jacent apparaît très rapidement : la place de la femme dans la construction personnelle d’un homme. Chaque victime est épaulée par une femme : épouse prête à sacrifier sa pureté pour sauver son mari ; mère à l’âge avancé dépendante de son fils ; mère ayant survécu à son fils… Ces personnages féminins, n’apparaissent qu’en tant que négatif d’un personnage masculin lâche, violent ou inapte en premier lieu, pour devenir vengeresses par la suite : non contentes d’accepter le sort de l’homme dont elles dépendent, elles font preuve d’une force inébranlable, loin de l’image traditionnelle de la femme docile. La notion de piété comme on l’entend habituellement n’a pas sa place dans ce film qui traite de vies plausibles, où les soucis quotidiens rongent des êtres humains dont les travers apparaissent sans fard. On salue le propos, malgré une exécution à budget limité. Kim Ki-duk réalise des films d’auteur, et nous le rappelle une fois encore. Les acteurs ne sont pas connus du grand public, en suivant la volonté du réalisateur, mais sont dotés d’un talent évident. Les maigres décors reflètent bien un environnement industriel en périphérie d’une grande ville jamais nommée. Le milieu sordide est parfaitement représenté. La qualité de l’image, quant à elle, laisse à désirer – une habitude de Kim.
Ethiquement gris, on ne recommandera pas Pietà pour découvrir l’œuvre de Kim Ki-duk, et on privilégiera des films plus faciles d’accès (Printemps, Eté, Automne, Hiver… et Printemps [봄여름 가을 겨울 그리고 봄] ; Locataires [손님]) pour éviter de trop perturber le néophyte. En revanche, les habitués du cinéma de Kim sauront apprécier le récit et les sous-entendus jamais explicités.
Photo à la une : © Totallydublin.ie
Autres photos : © Pretty Pictures
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